Avec quelques progrès, mais aussi des tendances inquiétantes, la situation française en matière d’antibiotiques est « contrastée » concernant la consommation et « mitigée » sur la résistance bactérienne, résume Santé publique France (SPF), à l’occasion de la semaine mondiale de sensibilisation à la résistance aux antimicrobiens, du 18 au 24 novembre.
Afin de capitaliser sur les progrès enregistrés, notamment en santé animale (réduction de 50 % en 10 ans de l’exposition aux antibiotiques), plusieurs ministères (Santé, Enseignement supérieur et Recherche, Agriculture, Transition écologique et Cohésion des territoires) mettent sur la table une nouvelle feuille de route à 10 ans baptisée « Prévention et réduction de l’antibiorésistance et lutte contre la résistance aux antimicrobiens ». La traduction opérationnelle des 17 objectifs « stratégiques » affichés fera l’objet d’une concertation « dans les prochaines semaines », indique un communiqué.
La France reste parmi les pays européens les plus consommateurs
Pour l’heure, en santé humaine, les données du système national de données de santé (SNDS) font apparaître « une réduction lente et régulière de la consommation globale, supérieure à 10 % entre 2012 et 2022 », souligne le Pr Jean-Christophe Lucet, PU-PH retraité de l’équipe de Prévention du risque infectieux (EPRI) de l’hôpital Bichat (AP-HP), dans un éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) de SPF introduisant une série d’articles sur le sujet, publiée ce 21 novembre.
Mais, après une chute pendant la pandémie, la consommation est repartie à la hausse depuis 2021. Si les niveaux restent inférieurs à ceux de 2019, les prescriptions et les consommations d’antibiotiques ont augmenté en 2022 « à un rythme plus soutenu qu’en 2021, respectivement +16,6 % et +14,0 % », relève SPF. Pour les moins de 15 ans en revanche, la consommation dépasse les niveaux d’avant-pandémie. La France reste ainsi dans le peloton de tête des pays européens les plus consommateurs.
Élément encourageant, l’utilisation des fluoroquinolones a été réduite de plus de moitié et l’utilisation de l’amoxicilline est croissante. « Les recommandations récentes de réduction du choix et du spectre des antibiotiques pour les infections urinaires et les infections ORL et respiratoires sont manifestement bien suivies », analyse le Pr Lucet.
Appel à la vigilance à l’hôpital
À l’hôpital, la consommation reste dans la moyenne européenne. Là aussi, le recours aux fluoroquinolones est en baisse. Mais, une utilisation croissante d’antibiotiques à large spectre est observée, « alors que la résistance bactérienne – stable – ne justifie pas cette augmentation », rappelle le Pr Lucet.
Pour les cocci à Gram positif, les prescriptions d’antibiotiques de dernier recours, comme la daptomycine et le linézolide, connaissent aussi une augmentation rapide. Pourtant, « l’utilisation irraisonnée du linézolide, d’utilisation facile, si elle n’est pas contrôlée rapidement va grever son efficacité dans les prochaines années », insiste le Pr Lucet. Avant d’ajouter : « ce constat est identique pour les bêtalactamines à large spectre, carbapénèmes ou associations, vis-à-vis des bacilles à Gram négatif ».
Malgré la mise en place des équipes mobiles d’antibiothérapie et des centres régionaux d’antibiothérapie (CRAtb), « la consommation des antibiotiques de "réserve" ou "critiques" continue à augmenter en milieu hospitalier, entretenant la "spirale vicieuse" de la résistance », interpelle le spécialiste de la prévention des infections.
Situation aggravée pour les entérobactéries productrices de carbapénémase (EPC)
En matière de résistance bactérienne, la situation est variable. Parmi les éléments rassurants, les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (Sarm) sont en « réduction régulière », une tendance « en grande partie expliquée par la réduction de leur transmission croisée grâce à l’hygiène des mains avec les solutions hydro-alcooliques », souligne le Pr Lucet.
Les taux d’entérobactéries productrices de bêta-lactamase à spectre élargi (EBLSE) sont stables en ville comme à l’hôpital et dans toutes les régions. La compréhension de cette hétérogénéité « pourrait aider à mieux établir les liens entre exposition aux antibiotiques, transmission croisée, organisation des soins et déterminants sociologiques », relève-t-il.
D’autres éléments se révèlent plus inquiétants. Pour les entérobactéries productrices de carbapénémase (EPC), une aggravation, notable en établissements de santé et, dans une moindre mesure, en secteur de ville, est constatée. « On aurait pu espérer une stabilisation, voire une réduction des taux d’EPC avec l’interruption des voyages internationaux au moment de la pandémie de Covid-19 : c’est un doublement des taux en quatre ans qui est observé, probablement aggravé par une altération durable des efforts de prévention du fait de la Covid-19 et la surcharge du système de soins, avec à présent une situation d’épidémie installée », explique le Pr Lucet.
Campagne sur le bon usage des antibiotiques
Cette situation justifie la mise en place d’une surveillance épidémiologique classique, en complément des signalements des infections et colonisations digestives dans le système e-SIN. « Avec les épidémies à entérocoques résistants aux glycopeptides (ERG) dans plusieurs régions, il s’agit d’un basculement des enjeux et des efforts nécessaires de contrôle vers les bactéries hautement résistantes émergentes (BHRe), tout en gardant les actions visant au contrôle des EBLSE et des Sarm », analyse le Pr Lucet, pour qui les recommandations sur les BHRe sont « parfois difficiles à mettre en œuvre dans notre système de santé en difficulté ».
Concernant la résistance de Escherichia coli aux fluoroquinolones, elle est en augmentation, et ce « malgré la réduction de la consommation des fluoroquinolones en ville et l’arrêt de leur utilisation en médecine vétérinaire », est-il relevé dans l’éditorial du BEH. « Il est d’ailleurs surprenant de constater que malgré la réduction de l’utilisation des antibiotiques durant la période Covid en 2020-2021, les taux de résistance de E. coli n’ont pas diminué », poursuit la Pr Lucet.
Face à ces différents constats, le gouvernement mise sur l’approche « Une seule santé » (articulation entre santé humaine, animale et des écosystèmes), centrale dans la nouvelle feuille de route interministérielle. Et, afin de sensibiliser le grand public, SPF rediffusera, à partir de décembre, une campagne sur le bon usage des antibiotiques (« bien se soigner, c'est d'abord bien les utiliser »).
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