LE QUOTIDIEN : Quel est pour vous l'aspect le plus passionnant de vos thématiques d’expertise ?
Pr STÉPHANIE DEBETTE : Vers la fin de mes études de médecine, à l’heure de me spécialiser, j’ai choisi la neurologie. Une discipline noble, passionnante et complexe qui, à mon sens, recèle de nombreuses choses à découvrir. J’ai aussi souhaité aller vers une spécialité pour laquelle je pensais que la recherche – qui m’intéressait déjà beaucoup – aurait un rôle majeur. Je me suis ensuite surspécialisée en neurovasculaire en raison de mon attrait pour la dimension quantitative, physique, presque mathématique de la cardiologie. Le lien entre le cerveau et les vaisseaux est, je trouve, passionnant.
Plus tard dans mon parcours, mon appétence pour la recherche, ma curiosité scientifique et mon intérêt pour des disciplines plus mathématiques m’ont amenée à m’intéresser à l’épidémiologie et, ainsi, aux facteurs de risque des maladies. À l’époque, l’outil génétique se développait et devenait de plus en plus central. Je trouvais que le tout était un bon alliage et représentait un terreau fertile pour l’accélération du développement thérapeutique ou encore l’essor de la médecine de précision. Évidemment, mon parcours a aussi été ponctué d’opportunités et de rencontres, comme lorsque j’ai eu l’occasion de travailler sur la cohorte américaine Framingham [créée en 1949, elle a notablement concouru à la connaissance des maladies cardiovasculaires, NDLR].
Quel est l’enjeu de santé publique que soulèvent les démences ?
Il est désormais connu que l’immense majorité des cas de démence sont dus à un mélange de lésions vasculaires et neurodégénératives. Le vieillissement vasculaire cérébral et les maladies vasculaires cérébrales sont donc une cause majeure de démence et de déclin cognitif, qu’il ne faut pas négliger. Elles ne s’additionnent pas seulement, elles s’accentuent et se déclenchent ensemble. Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont la deuxième cause de décès dans le monde, et la première chez les femmes en France. Quant aux démences, dans un contexte de population vieillissante, elles devraient toucher 57 millions de personnes dans le monde d’ici à 2050. Les deux associés, AVC et démences, sont ainsi les maladies les plus fréquentes avec le plus fort impact en termes de handicap et de coût pour la société.
L’immense majorité des cas de démence est due à un mélange de lésions vasculaires et neurodégénératives
À cet enjeu majeur de santé publique, je répondrais par l’importance de se centrer sur la prévention, d’autant plus que nous sommes capables de les détecter en amont.
Je travaille notamment sur la maladie des petits vaisseaux cérébraux, responsable d’un tiers des AVC et principale contributrice vasculaire au déclin cognitif et aux démences. Désormais, par l’analyse de la vascularisation rétinienne, il est possible de la détecter en amont de la survenue des maladies dont nous parlons, c’est une fenêtre de tir majeure pour la prévention. Donc oui, améliorer la santé cérébrale de la population vieillissante et prévenir les maladies invalidantes sont un enjeu de santé publique. À ce titre, mes nouvelles fonctions à l’Institut du cerveau m’offrent de nouvelles opportunités dans ce champ insuffisamment exploré des mécanismes biologiques et moléculaires, qui sous-tendent le lien étroit entre vieillissement vasculaire et maladies neurodégénératives au sens large.
Représentent-elles une porte vers le bien-vieillir ?
Le bien-vieillir passera par le bien-vieillir cérébral, tout comme la santé vasculaire cérébrale passera par la santé vasculaire. L’hypertension artérielle est un facteur majeur déjà connu. La première chose serait de prendre des mesures pour réduire son poids et son incidence sur les maladies cardio- et neurovasculaires.
Il y a également la fibrillation atriale, qui augmenterait le risque de déclin et de démence, et pas seulement par la survenue d’AVC. Enfin, nous sommes confrontés à de nombreuses questions liées à notre monde – sociales, éthiques, scientifiques, politiques – auxquelles il s’agit de répondre. Et il faut se pencher sur les effets vraisemblables des expositions environnementales sur la santé cérébrale. L’étude de la maladie des petits vaisseaux est à mes yeux une clé pour favoriser le vieillissement en santé. Au global, le dialogue entre la cardiologie et la neurologie sera central pour renforcer nos mesures de santé publique.
Vous codirigerez une équipe de recherche à l’Institut du cerveau. À quelles questions souhaitez-vous répondre ?
L’équipe de recherche dédiée aux maladies neurovasculaires que je codirigerai avec le Pr Hugues Chabriat s’intéressera au continuum entre les formes génétiques rares et les formes polygéniques multifactorielles, et aux mécanismes – partagés ou différents – qu’elles sous-tendent. L‘approche y sera génétique, moléculaire et d’imagerie.
Cette unité sera également le lieu pour valoriser la connaissance des petits vaisseaux cérébraux et explorer leur effet sur les maladies neurodégénératives comme Alzheimer, mais aussi sur les pathologies inflammatoires comme la sclérose en plaques. Elle exploitera aussi la science des données et des outils comme l’intelligence artificielle. Ces thématiques déjà développées à l’Institut du cerveau seront exploitées plus largement avec un centre dédié. Nous comptons notamment sur les biobanques et les cohortes colligées ces dernières années en France, ainsi que sur la banque de cerveaux Neuro-CEB de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Nous espérons les connecter aux données du Système national des données de santé (SNDS) et du Health Data Hub.
Après la création et la direction de l’IHU sur la santé vasculaire cérébrale (VBHI), que signifie pour vous accéder à la direction de l’Institut du cerveau ?
Je suis arrivée à Bordeaux pour un poste de PU-PH avec un financement de l’European Research Council (ERC) qui visait à comprendre s’il existait des mécanismes précoces contribuant à une variabilité, une susceptibilité ou une résilience à développer des maladies à un âge plus ou moins avancé. Premier pas vers l’institut hospitalo-universitaire sur la santé vasculaire cérébrale VBHI (pour Vascular Brain Health Institute), nous avons ensuite obtenu, pour l’étude de la maladie des petits vaisseaux cérébraux, un programme de recherche hospitalo-universitaire de cinq ans (RHU), qui allait plus loin avec l’étude des gènes associés. Puis est né le projet d’IHU VBHI. L’appel à projets des IHU était l’opportunité de fédérer les forces en présence sur le site bordelais et de passer au niveau supérieur en ramenant des chercheurs à l’interface de trois pôles d’excellence à Bordeaux, en neurosciences, santé publique et cardiovasculaire. Nous voulions également impliquer les experts en intelligence artificielle, en omics, en recherche moléculaire, le tout en développant des molécules thérapeutiques. Pari réussi.
Aujourd’hui, à l’Institut du cerveau, je conserve une forte volonté d’œuvrer à plus de collaboration en France et à soutenir les synergies des forces françaises dans la compétition internationale. C’est une grande chance et une magnifique opportunité de travailler dans un institut unique en son genre, sur le plan national et international, avec des chercheurs d’excellence en neurosciences, mais aussi des plateformes technologiques de pointe, implantées dans un campus hospitalo-universitaire spécialisé dans les maladies neurologiques.
Il y a de belles choses à réaliser et des challenges à relever, avec une alliance entre public et privé qui donne une force particulière ; le monde du privé permet de s’ouvrir à de nouvelles perspectives sur la façon de faire avancer la recherche et de bénéficier de moyens financiers, afin de porter haut les ambitions de l’Institut. Il nous faudra enfin accélérer le transfert de ces recherches vers les patients.
Repères
2008
Postdoctorat à Boston avec des travaux sur la cohorte Framingham
2014
MCU-PH à Bordeaux
2023
Direction de l’Institut hospitalo-universitaire sur la santé vasculaire cérébrale (VBHI) à Bordeaux
2024
Grand prix Inserm
2025
Directrice générale de l’Institut du cerveau
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