Toute crise agit comme un révélateur : elle met en avant des choses que l’on entrevoyait sans y prêter assez d’attention, ou elle fait apparaître des choses qui restaient dans l’ombre. Plus la crise est imprévue et profonde, plus le révélateur est puissant. De ce point de vue, nous sommes servis ! La crise sanitaire que nous vivons fonctionne comme un véritable réveille-matin par rapport à des années d’assoupissement. Elle nous oblige à reconsidérer de fond en comble les mécanismes et les principes sur lesquels nous nous reposions. Nous n’avons pas fini d’en tirer les leçons. Mais il en est quelques-unes qui s’imposent d’ores et déjà avec clarté.
L’imprévisibilité de la crise a pour premier effet de mettre en lumière l’imprévoyance, confinant à l’inconscience, dans laquelle nos sociétés occidentales s’étaient installées à des degrés divers. Nous avions inscrit, nous Français, le principe de précaution dans la Constitution, mais apparemment, cette précaution n’impliquait pas l’anticipation dans l’esprit de nos responsables. La « mondialisation heureuse » ne suscitait plus que des ricanements, mais en réalité, elle était la philosophie officielle de nos régimes, celle qu’ils mettaient en pratique. L’automatisme des marchés à l’échelle globale était supposé répondre à tout, en combinant des approvisionnements assurés en flux tendus et les plus bas coûts de production. Les Occidentaux, l’Europe en particulier, s’en étaient remis aveuglément à la Chine, sans même remarquer l’opposition des attitudes : ouverture irréfléchie de leur côté, démarche méthodique et stratégique de l’autre côté. Et je ne parle pas des problèmes sanitaires posés par cette bombe biologique, ignorés en dépit de multiples alertes au cours de ces dernières années (et bien identifiés, en revanche, par ses voisins asiatiques). Nous avons vu où ce choix de l’ignorance nous a menés : sous-équipement de « l’hôpital de flux », ruptures d’approvisionnements de toute nature, etc. Inutile de s’y étendre, tellement la vérité est criante. Mais ce ne sera pas une petite affaire que de reconstruire des modes de fonctionnement organisés autour de prévisions raisonnables, avec la souplesse que cela exige par rapport aux rigidités bureaucratiques inhérentes aux méthodes néolibérales de management – autre donnée mise en évidence par la crise, soit dit au passage, sur laquelle on n’a pas fini de revenir.
La crise a rendu manifeste la nouvelle philosophie de la santé publique qui s’est fabriquée à bas bruit à l’échelle collective au cours des dernières décennies. C’est elle qui a donné à cette crise son retentissement exceptionnel. J’ai appris, comme beaucoup de gens de ma génération, sans doute, qu’il y avait eu une importante épidémie de grippe, en France, en 1969-1970, qui avait fait un nombre élevé de victimes. J’avoue que je ne m’en étais même pas aperçu à l’époque. C’est que ce genre de phénomènes étaient encore subis à ce moment-là dans une grande opacité sociale, où chacun se débrouillait localement avec les moyens du bord, de telle sorte que seuls les grands centres hospitaliers des principales villes avaient les moyens de percevoir la vague, et encore, sans coordination d’ensemble. Le progrès saisissant de l’intégration de nos sociétés comme ensembles organisés et communiquants, avec leurs systèmes d’information, a radicalement modifié la donne. D’autre part, dans le cadre de cette intégration, un impératif s’est imposé : tout malade doit pouvoir bénéficier des meilleurs soins disponibles. C’est ce qui a provoqué la décision du confinement, pour permettre aux services de soins et de réanimation de prendre en charge tous les patients qui se présenteraient. Nos pays ont été mis à l’arrêt pour traiter et sauver un nombre de personnes très limité à l’échelle de leur population globale. Un évènement sans précédent dans l’histoire. Il représente exactement l’inversion de la logique qui a été celle de toutes les sociétés depuis toujours : l’acceptation du sacrifice du petit nombre pour le salut du plus grand nombre. Nous avons sacrifié le sort du plus grand nombre pour le salut du petit nombre. Un sacrifice relatif, bien sûr, puisqu’il est pacifique et principalement matériel, que seules des sociétés riches pouvaient se permettre. Il n’empêche que c’est un évènement extraordinaire, révolutionnaire, même, dont les conséquences intellectuelles et morales sont à venir. Nous ne savions pas que nous étions comme ça ! Nous croyions même le contraire.
Mais les leçons les plus profondes sont d’ordre politique – la grande politique, pas la petite politique politicienne : le retour de la nation solidaire et de l’État stratège, le retour de la politique qui pense et qui protège. Nous avons cru pouvoir nous en passer, nous redécouvrons que c’est ce dont nous avons le plus besoin. C’est elle qui permettra de mettre en forme les autres leçons de la crise. Le travail ne fait que commencer.
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