La CEDH rejette un recours contre la pénalisation des clients de la prostitution

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Publié le 26/07/2024

Saisie par des travailleurs du sexe dénonçant l’impact de la loi française, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a estimé, dans une décision rendue ce 25 juillet, que la pénalisation des clients, malgré ses impacts négatifs, ne violait pas la Convention européenne des droits de l’homme.

Crédit photo : SAUTIER PHILIPPE/SIPA

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rejeté la requête de 261 travailleurs et travailleuses du sexe (TDS) contestant la loi française de 2016 pénalisant les clients de la prostitution. Dans sa décision rendue ce 25 juillet, la Cour estime que ce texte ne viole pas la Convention européenne des droits de l’Homme. L’instance reconnaît les « difficultés et risques – indéniables – auxquels les personnes prostituées sont exposées dans l’exercice de leur activité », mais elle a rappelé que « ces phénomènes étaient déjà présents et observés avant l’adoption de la loi ».

Soutenus par une vingtaine d’associations, les requérants avaient saisi la CEDH en décembre 2019, après avoir épuisé tous les recours nationaux. L’instauration de la loi, plaident-ils, a dégradé leur situation, les exposant à davantage de clandestinité, de risques de contamination aux infections sexuellement transmissibles (IST) et de violences physiques et sexuelles. Le texte constitue selon eux une violation de leurs droits fondamentaux.

Plus que 62 % des TDS en capacité d’imposer le port du préservatif

Selon une enquête menée en 2018, depuis l’instauration de la loi, 78 % des TDS se déclaraient plus précaires et 42 % plus exposés à des violences physiques et sexuelles. Surtout, « seulement 62 % des TDS se déclaraient en capacité d’imposer systématiquement le port du préservatif », s’inquiète auprès du Quotidien Sarah-Marie Maffesoli, coordinatrice chez Médecins du monde (MDM). Une analyse de la Haute Autorité de santé (HAS) publiée en avril 2016 montre qu’avant la loi, « 95 % des TDS pouvaient imposer le port du préservatif ».

« La pénalisation ne protège pas les personnes exerçant le travail sexuel », résume la responsable chez MDM. Et de citer une étude publiée en 2017 dans The Lancet sur le lien entre criminalisation du travail sexuel et taux de prévalence du VIH parmi les TDS. Les pays appliquant une répression directe ou indirecte du travail sexuel en Europe connaissent des taux de prévalence du VIH chez les TDS huit fois supérieurs (environ 4 %) aux 17 pays où celui-ci est légal (environ 0,5 %).

Lors d’une conférence de presse sur le site de la 25e conférence internationale sur le sida (Aids) à Munich, les requérants ont exprimé leur déception et leur colère. « C’est un pas en arrière », a réagi Mimi Aum Neko, présidente de l’association Acceptess-T. « Certaines vies valent moins que d’autres, a déploré Sabrina Sanchez, directrice de l’European Sex Workers’ Alliance. On ne va pas disparaître, car les conditions qui nous poussent vers le travail du sexe sont toujours là. »

Si la requête est rejetée, « la Cour appelle clairement la France à évaluer constamment l’impact de la pénalisation des clients sur les TDS, relève la coordinatrice de MDM. C’est une porte ouverte : on ne peut désormais plus dire que la pénalisation des clients n’a pas d’impact sur les TDS. C’est la première fois qu’il y a une mise en garde si claire. »

Des associations saluent « un signal fort pour l’Europe »

Quelque 200 associations internationales se sont quant à elles réjouies de la décision de la CEDH. Ces organisations, dont Solidarités Femmes, Osez le Féminisme, le Collectif féministe contre le viol (CFCV) ou la Coalition pour l'abolition de la prostitution (CAP international), ont salué dans un communiqué commun « un signal fort pour l’Europe, une victoire pour toutes les femmes ! ».

Ces associations dites « abolitionnistes » estiment que « ce n'est pas la loi qui tue, qui est violente, c'est la prostitution » elle-même, a indiqué lors d'une conférence de presse Stéphanie Caradec, du Mouvement du nid, qui intervient auprès des personnes prostituées. Les associations réclament la mise en œuvre des différents volets de la loi de 2016, et notamment celui visant à « permettre à toutes les personnes prostituées qui le souhaitent de sortir de la prostitution ».

Les requérants disposent désormais de trois mois pour introduire un pourvoi devant la Grande chambre.

E.B. avec AFP

Source : lequotidiendumedecin.fr