Dans le reportage Envoyé spécial diffusé ce 12 avril sur France 2, l'attention est d'abord portée sur une jeune infirmière, Pamela Ramez, 28 ans. Elle a fait une tentative de suicide, une semaine après avoir dû travailler neuf nuits de garde de suite aux urgences de l'hôpital de Denain (Nord). Son témoignage est bouleversant. Depuis sept ans qu'elle y exerce, son service a quadruplé le nombre de patients, avec le même effectif. L'année passée, elle a même fait 200 heures supplémentaires. Résultat : tentative de suicide et un mois pour s'en remettre à l'hôpital psychiatrique. Réponse de la direction de l'établissement, Eric Lagardère : « Nous ne pouvons pas former une infirmière urgentiste au pied levé [...]. Pour nous, ce qui important, c'est le tryptique "le bon agent, le bon investissement et le bon équilibre financier."» Fermez le ban.
« On est là le chrono à la main »
Mais les journalistes d'Envoyé spécial sont allés plus loin. Ils ont enquêté sur un hôpital modèle, le Chu de Toulouse, classé chaque année parmi les meilleurs établissements par le journal Le Point. Une autre infirmière y exerçant au service gériatrie témoigne. Elle a été maltraitante avec des patients. « J'ai dérapé, mais j'étais tellement débordée. On nous transforme en robots. On est là le chrono à la main. Je devais faire douze toilettes en 2H45, soit 13 minutes par patient. »
« Modèle » du lean management
Ce malaise au Chu a été dénoncé par un rapport d'experts commandé par les organisations syndicales. Il dénonce une industrialisation de l'organisation de travail. Jean-Claude Vaslet, expert en santé du travail, confirme cette dérive due au lean management, méthode fondée sur la standardisation dans l'industrie automobile japonaise. Julien Terrier, délégué CGT du Chu, abonde : « Tous les temps morts doivent être quantifiés, c'est-à-dire les temps de dialogue avec les patients. » Une nouvelle fois, la T2A est ici mise en cause.
« Ma fille a eu la malchance de naître un samedi »
Illustration au sein du bloc chirurgical de pédiatrie de l'établissement. Un rapport confidentiel du CHSCT, intitulé « expertise risque grave », relève des dysfonctionnements, mis en lumière début avril par le journal Mediacités*. Selon une de ces fiches d'incidents, « la prise en charge des enfants ne se fait pas dans la sécurité ». Résultat, il existe un énorme turnover au sein du service qui réussit tant bien que mal à maintenir 30 % de personnels expérimentés, un seuil au-dessous duquel il est dangereux d'aller. Plusieurs personnels dont un radiologue et une infirmière dénoncent cette situation de pénurie. Le plus émouvant est celui d'un père de famille d'une petite Léonie de 14 mois, qui a eu la malchance selon lui « de naître un samedi ». Prévenu d'un risque potentiel de santé au niveau de l'appareil intestinal et nécessitant une opération, les parents ont été reçus le jour de l'accouchement par un radiologue de garde, « non spécialisé en pédiatrie ». Celui-ci n'a rien vu de délétère sur la radio malgré leur insistance... Trois mois ont été nécessaires, selon le père de famille, pour faire reconnaître à l'hôpital leur erreur. Leur fille avait des symptômes de vomissement et de douleurs manifestes...
Création ou suppression de postes ?
A la fin de l'enquête, le directeur du Chu qui était encore Raymond Le Moign, devenu directeur de cabinet entre temps de la ministre Agnès Buzyn pour ses bons résultats, se veut rassurant : selon lui, 30 à 40 emplois ont été créés, en contradiction pourtant avec le Bilan social pour lequel 56 ETP ont été supprimés, analyse France 2.
Une solution viendra peut-être des médecins : selon la chaîne, un collectif de médecins de Strasbourg s'apprête à porter plainte contre les pouvoirs publics pour mise en danger de la vie d'autrui et maltraitance envers les patients. Les soignants et les patients attendent du changement...
* Sur ce sujet, la Fédération hospitalière de France a dénoncé la diffusion de fiches de signalement d’évènements indésirables sur un site Internet : « Cela a déclenché des polémiques de nature à inquiéter. Le CHU de Toulouse a rappelé que ces fiches s’inscrivent dans une démarche qualité en matière de sécurité des soins. La Fédération rappelle que les hôpitaux, en toute transparence avec les représentants des usagers, ont mis en place depuis longtemps des signalements des dysfonctionnements dans un objectif de sécurité des soins et d’amélioration continue de qualité. Les fiches de signalement d’évènements indésirables en sont un outil indispensable », conclut la FHF.
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