LE QUOTIDIEN : Où en est-on des négociations ?
Dr SYLVIE BRIAND : Le processus de négociations a été lancé il y a plus de deux ans, en décembre 2021, dans les suites de la pandémie de Covid. L’ambition était d’aboutir à un accord lors de l’Assemblée mondiale de la santé, qui s’ouvre le 27 mai.
Ce type d’accord international, essentiel pour assurer une bonne coordination et collaboration des différents pays, est complexe à négocier dans l’urgence. Les discussions sont menées par des diplomates et des juristes. Chaque mot compte, d’autant que le texte doit être ratifié par chaque État. L’enjeu n’est pas seulement diplomatique ; des problèmes techniques, notamment sur le partage des virus, sont à régler.
Le dernier texte proposé par le groupe chargé des négociations (l’Intergovernmental Negociating Body, NDLR) contient encore trois propositions discordantes. Certains points qui n’auront pas pu être finalisés pourraient être l’objet de négociations par des groupes de travail spécifiques jusqu’à l’Assemblée de 2026.
Quels sont les principaux points de blocage ?
Une des principales difficultés porte sur un système mondial de partage des virus et des bénéfices tirés de leur étude et de leur exploitation, le Pathogen Access and Benefit-Sharing (PABS). Les données de séquençage des virus en circulation sont indispensables pour le développement de vaccins, de tests de dépistage ou de traitements.
Ce partage est soumis au protocole de Nagoya, qui insiste sur les contreparties à l’échange d’informations : celui qui partage un virus doit avoir accès aux bénéfices. Ce protocole s’applique actuellement aux produits issus de la biodiversité. Des pays passent des accords bilatéraux mais ce système ne convient pas à un phénomène mondial comme une pandémie, pour lequel il faudrait un système multilatéral.
Nombre de pays en développement qui ne produisent pas de vaccins veulent s’assurer qu’un partage de virus avec la communauté internationale leur ouvre un accès aux bénéfices, c’est-à-dire aux vaccins, tests et traitements. L’expérience d’épidémies récentes, et notamment du Covid, montre que ce n’est pas toujours le cas.
D’autres dissensus portent sur les droits de propriété intellectuelle ou sur le transfert de technologies vers les pays en développement, alors qu’aucun accord international n’encourage à l’heure actuelle les industriels à s’engager dans ces transferts. Là encore, l’enjeu est de dépasser les dysfonctionnements de la pandémie, avec de nombreux pays laissés pour compte d’un marché verrouillé par les grands acteurs.
L’objectif est bien que le monde soit mieux préparé à la prochaine pandémie. Tendre vers plus d’équité revêt un aspect moral, mais aussi épidémiologique : si on n’est pas capable de vacciner les gens qui en ont besoin en temps utile, le risque est d’avoir des poches de transmission qui peuvent essaimer de nouveau.
Faut-il craindre une absence d’accord à l’Assemblée ?
Une ultime rencontre est prévue en amont de l’Assemblée, du 20 au 24 mai. Tous les points qui n’auront pas pu être négociés devront être résolus dans les deux ans à venir. Des questions concrètes sont à régler. Par exemple, si une base de données mondiale des séquences génétiques était créée, qui serait amené à la gérer ? Qui pourra accéder à l’information et sous quelles conditions ? Pour apporter des garanties aux États membres qui en réclament, il faut se pencher sur ces questions.
Malgré ces retards, il est primordial d’aboutir à un accord sur les points de consensus et la poursuite des négociations, avec un calendrier précis sur des points particuliers. Cette année, 80 élections importantes vont se tenir dans les États membres. Les positions gouvernementales pourraient évoluer. Si un accord n’était pas adopté fin mai, cela pourrait contraindre à une réouverture complète des négociations à une date ultérieure.
Relevez-vous tout de même des avancées ?
Beaucoup de progrès sont intervenus. Tout le monde a pris conscience de notre vulnérabilité et du besoin de s’organiser. Dans cette période de tensions internationales, sans coopérations renforcées, les conséquences d’une pandémie seraient bien pires.
Dans cette période de tensions internationales, sans coopérations renforcées, les conséquences d’une pandémie seraient bien pires
De nombreuses initiatives ont été engagées pour renforcer la recherche, y compris dans les pays en développement, afin de disposer de capacités accrues en cas de crise et de transférer certaines technologies, à l’image du hub de développement de vaccins à ARNm en Afrique du Sud.
Mais ces progrès sont dépendants des acteurs qui veulent bien se mobiliser. Il n’y a pas d’efforts coordonnés internationalement. Le risque lié à l’éparpillement, c’est la duplication des initiatives ou l’abandon de certaines zones géographiques.
Comment interpréter l’accord signé par les États-Unis avec 50 pays pour les aider à se préparer aux prochaines pandémies ?
Cet accord illustre la tension actuelle entre le multilatéralisme et un bilatéralisme étendu. L’OMS a été créée en 1948 après la Seconde Guerre mondiale bien sûr, mais aussi après beaucoup d’épidémies qui avaient fait des ravages, comme la grippe de 1918 en Europe ou l’épidémie de choléra en Égypte en 1947. L’intérêt de collaborer face à des pathogènes qui circulent sans tenir compte des frontières était alors bien compris.
Le règlement sanitaire international a ensuite été adopté et revu, la dernière révision remontant à l’épidémie de grippe aviaire H5N1 de 2005. Cet écosystème a donc été plusieurs fois restructuré pour nous permettre de relever les défis sanitaires.
L’accord en négociations s’inscrit dans cette logique de renforcement de nos capacités de riposte aux menaces de notre siècle. Mais il intervient dans une ère de méfiance à l’encontre du multilatéralisme. Même en France, certains discours associent cet accord à une perte de souveraineté. C’est mal comprendre les enjeux et la nature de ce qu’est un traité. Ce sont les États membres qui négocient et ils restent évidemment souverains.
Nous sommes dans une période de fragmentation. Quand la variole a été éradiquée dans les années 1980, deux blocs s’affrontaient. Aujourd’hui, les blocs sont multiples, très dynamiques et, entre eux, les alliances se font et se défont selon les intérêts du moment. Dans ce monde complexe, obtenir un accord réclame de redoubler d’efforts.
Cette fragmentation produit-elle des reculs en matière de collaborations internationales sur la santé ?
Les fractures sont là. Pendant la pandémie de Covid, la mise en place du mécanisme de partage des doses de vaccins Covax, par l’OMS et d’autres partenaires, avait une portée multilatérale. Mais cela n’a pas empêché certains pays d’organiser des distributions bilatérales vers leurs partenaires économiques ou diplomatiques.
La difficulté va être de surmonter les fragmentations politiques et de faire de la santé une parenthèse dans les relations internationales. Tout le monde a intérêt à travailler ensemble : la communauté internationale réagira plus vite et sera moins vulnérable. Que les États acceptent de discuter est un premier pas. On ne peut qu’espérer qu’une nouvelle crise sanitaire mondiale ne soit pas nécessaire pour poursuivre.
La prochaine menace pourrait-elle venir de l’épidémie de H5N1 ?
Le virus est surveillé de très près. On observe une extension géographique des infections chez les animaux et une augmentation du nombre d’espèces de mammifères touchées : ce sont autant d’opportunités pour le virus d’évoluer, de franchir la barrière des espèces et d’acquérir les capacités d’infecter les humains. Le rôle de l’OMS est d’encourager les États à intensifier la surveillance pour détecter le plus rapidement possible le moment où le virus deviendra facilement transmissible à l’homme et à prévenir la propagation mondiale de la maladie.
Repères
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