Cédric Arcos : Santé, et si on prenait l'exemple des lois de programmation militaire ?

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Publié le 18/05/2020
Le directeur général adjoint de la région Ile-de-France tire les leçons de la crise sanitaire pour Décision & Stratégie Santé.
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Cette crise porte en elle de nombreux enseignements mais je retiens à ce stade quatre messages. En premier lieu, l’incroyable énergie et l’efficacité de nos personnels de santé qui ont réussi, malgré toutes les difficultés et toutes les prévisions, à repousser les limites de ce que nous pensions possible de faire. Notre système de santé a été bousculé mais il a tenu et c’est grâce à eux. Il faudra nous en souvenir pour enfin améliorer les carrières et l’attractivité des métiers du monde de la santé. Il faudra aussi nous souvenir que si l’impossible a été fait c’est aussi car toutes les énergies ont été additionnées, entre la ville et l’hôpital, entre le public et le privé mais aussi, entre toutes les professions. Il faudra enfin que nous sachions conserver toutes les avancées que cette crise a permises, à l’instar de la généralisation des téléconsultations. Je retiens ensuite pour seconde leçon, la prise de conscience, nouvelle, de l’importance capitale de la santé publique. Avec cette crise, chacun comprend désormais mieux le rôle majeur des notions telles que la santé populationnelle, la responsabilité territoriale mais aussi l’importance, pour qu’une politique de santé soit efficace, d’être portée par toutes les politiques. A mon sens, les Français, mais aussi les responsables politiques, mesurent mieux à présent le besoin d’intégrer la santé dans toutes les politiques, qu’il s’agisse de l’éducation, des transports, du logement, de la politique industrielle, etc. Car cette crise a aussi révélé nos grandes faiblesses et le besoin de travailler sur l’habitat insalubre, sur le soutien à notre industrie de recherche, à notre industrie de santé, ou encore sur le rôle de la prévention dans les politiques publiques.

Quant à la troisième leçon, c’est pour moi le besoin de réinterroger à l’avenir la relation entre l’Etat et les acteurs de terrain, collectivités locales mais aussi opérateurs privés. Face à une crise aussi violente, nous avons vu que les acteurs locaux ont souvent eu une réactivité supérieure à celle des acteurs nationaux. Ce n’est en rien une critique mais simplement la confirmation, évidente, qu’on gère mieux ce qu’on gère de près et que c’est bien par l’addition des forces, la coordination qu’on peut avancer et faire face. A cet égard, la gestion en Ile-de-France a pour moi été de grande qualité car tous les acteurs ont travaillé de concert, ARS, hôpitaux, professionnels de ville, maires, région, etc. D’une manière générale, pendant cette crise, les maires, les présidents de département et de région ont montré qu’ils savaient être au rendez-vous et c’est un point dont il faudra tenir compte à l’avenir pour refonder notre système de santé. Je forme également le souhait que le regard porté sur nos industries de santé évolue à la faveur de cette crise et que chacun comprenne mieux que les acteurs privés ont un rôle essentiel pour notre politique de santé. Enfin, la quatrième leçon, la plus importante selon moi, c’est de considérer la santé comme un secteur prioritaire pour notre souveraineté. Le regard sur la santé va devoir changer et il faudra travailler à l’avenir aux moyens de garantir notre indépendance, qu’elle soit capacitaire, industrielle mais aussi numérique. A mon sens, cette souveraineté devra certes s’apprécier au niveau national mais une nouvelle ambition européenne me semble incontournable.

Comment inclure ces enjeux dans la construction du prochain PLFSS 2021 ?

L’ensemble de nos outils de pilotage devra être réinterrogé après cette crise car chacun réalise bien que les approches uniquement comptables et sectorielles ne seront plus permises. A ce titre, le PLFSS devra lui aussi évoluer. Une approche pluriannuelle, qui était déjà enclenchée avant la crise, devra désormais être la règle, de manière à en finir avec les régulations ponctuelles. En d’autres termes, nous avons besoin d’une vision de long terme, qui nous a tant manqué depuis des décennies, et de construire les nouveaux outils pour cela. Je pense qu’une approche comparable à celle des lois de programmation militaire peut nous guider utilement : identifier les menaces et les opportunités de long terme, définir notre cap à court/moyen et long termes et en déduire le cadrage financier pour préserver notre autonomie.


Source : lequotidiendumedecin.fr