Le premier écrit : « S’il est vrai que l’écologie est à la fois partout et nulle part, il est aussi vrai, que d’un côté, s’ouvre une situation de conflits sur tous les sujets, et que, de l’autre, règne une sorte d’indifférence, d’irénisme, d’attente et de fausse paix » (1). Le second confirme : « Malheureusement, rien de tout cela n’a ralenti la lente et régulière hausse des émissions de gaz à effets de serre dues à notre espèce. Et même par une étrange ironie, plus les discours alarmistes se sont multipliés, plus les émissions ont augmenté ! ».(2) Si Bruno Latour et Jean-Marc Jancovici partagent le même diagnostic, leurs réponses à l’urgence divergent avec toutefois la volonté partagée d’échapper à une écologie de punition. Jean-Marc Jancovici, ancien élève de l’école Polytechnique, entrepreneur, à l’origine de The Shift Project, inscrit la décarbonation dans un contexte dicté par les exigences économiques. Son « plan de transformation de l’économie française » affiche un pragmatisme assumé, comme en témoigne son soutien à l’énergie nucléaire. Secteur après secteur, de l‘industrie lourde à la culture sans oublier la santé, l’objectif est de changer l’économie afin de changer la vie. Ce programme dresse un état des lieux des mesures à prendre. À la lecture, rien ne paraît impossible. Certes, il y aura à la fin des gagnants et des perdants. Mais à l’horizon 2050, les Français si le pari est gagné, vivront mieux.
À l’autre bout du spectre, Bruno Latour récuse tout économisme, toute accommodation. Ici le combat est d’abord politique. Dans un mémo signé avec Nikolaj Schultz, doctorant au département de sociologie de l’université de Copenhague, la lutte est d’abord politique avec la conquête du pouvoir, même si elle passe d’abord par la bataille des idées. Bruno Latour appelle à s’affranchir de la « domination de l’économie ». L’émergence de la classe écologique doit ici jouer le rôle majeur qui était hier dévolu au prolétariat. Ce petit texte aux allures de manifeste ne prétend pas devenir un nouveau catéchisme. Simplement, il dessine un nouveau monde qui tarde encore à émerger. Pourquoi ce retard ? Pour Jean-Marc Jancovici, afin d’aider à son avènement, l’important est de créer de l’enthousiasme, du désir. Selon Bruno Latour, « tout est déjà joué ». Et de conclure en citant l’historien Paul Veyne : « Les grands bouleversements sont parfois aussi simples que le mouvement que fait un dormeur pour se retourner dans son lit. » Faudrait-il alors rester au lit ?
(1) Mémo sur la nouvelle classe écologique, Bruno Latour, Nikolaj Schultz, les empêcheurs de penser en rond, éditions la Découverte, 95 pages, 14 euros.
(2) The Shift Project climats, crises : le plan de transformation de l’économie française, avant-propos de Jean-Marc Jancovici, éditions Odile Jacob, 263 pages, 11,90 euros.
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