LE QUOTIDIEN : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à l’odorologie ?
ISABELLE FROMANTIN : Après un parcours tourné vers la pédiatrie en tant qu’infirmière, je me suis intéressée aux plaies chroniques en oncologie. J’en ai fait mon sujet de thèse et ces travaux sur le cancer du sein m’ont amenée à me concentrer sur l’odorologie. Il existe dans ce cancer un lien entre infection, biofilm et odeurs de plaies tumorales qui m’a semblé essentiel à explorer.
En effet, lors du développement d’une tumeur, en raison de la forte angiogenèse et la nécrose associée, les plaies dégagent une odeur nauséabonde. En exploitant la chimie analytique, j’ai constaté que des composés organiques volatils (COV) spécifiques étaient libérés. De plus, certains COV étaient émis par les bactéries de la plaie ou par les topiques, mais d’autres n’en étaient pas issus. Mon hypothèse a donc été la suivante : la tumeur pourrait-elle aussi libérer des COV ? Et si tel est le cas, ces derniers pourraient-ils servir de biomarqueurs du cancer du sein lorsqu'il n'y a pas de plaie, à un stade précoce ? C’est ainsi que le projet de dépister le cancer du sein grâce à l’odorologie, que nous avons nommé Kdog, a germé.
Comment avez-vous travaillé ?
Le projet Kdog s’est divisé en deux programmes qui se nourrissent l’un l’autre. Le premier, Kdog COV se concentre sur les COV et cherche une signature olfactive du cancer du sein. À terme, il aboutirait sur une truffe électronique capable de la détecter. Le second, Kdog-1, exploite l’odorat des chiens pour repérer et discriminer l’odeur du cancer du sein. En réalité, de nombreux animaux pourraient en être capables comme les rats ou encore les éléphants, mais nous avons choisi de travailler avec les chiens pour des raisons de coût et d’accessibilité.
Si nous trouvons la signature olfactive du cancer du sein, nous pourrions développer une truffe électronique
Quels résultats avez-vous obtenus ?
L’étude pilote de Kdog-1 (2018) avait pour objectif de répondre à la question « les chiens sont-ils capables de détecter précocement les cancers ? ». En collaboration étroite avec des experts cynophiles, nous avons tout d’abord entraîné les chiens grâce à des compresses imprégnées de sueur de poitrine de patientes volontaires atteintes d’un cancer du sein. Puis nous avons montré aux chiens plus d’une centaine d’échantillons de compresses issues de patientes malades et de personnes indemnes de cancer. Les compresses étaient positionnées dans des cônes rangés par lignes de quatre parmi lesquels se trouvaient, à chaque fois, trois négatifs et un positif. Le chien devait s’asseoir lorsqu’il détectait un positif. Ils ont ainsi fait preuve d’une sensibilité supérieure à 90 % ce qui nous a permis de conclure à leur capacité de détecter le cancer.
Nous avons ensuite lancé l’étude clinique en 2020, mais elle a été interrompue en mars 2022 du fait de résultats intermédiaires insuffisants. En effet, nous avons pu constater que le chien ne s’avère pas l’outil le plus pertinent pour le diagnostic, principalement par manque de reproductibilité et de constance. Pour le chien, reconnaître des odeurs est comme un jeu auquel il n’a pas forcément envie de jouer tous les jours. Le diagnostic demande beaucoup plus de concentration aux chiens que la détection de drogues ou d’explosifs.
Les chiens seront plus accessibles aux pays à faible accès aux soins que des truffes électroniques
Continuez-vous les recherches sur les truffes électroniques ?
Pour Kdog COV nous avons des données encourageantes, mais pas encore de résultats précis. Ce programme, qui cherche donc la signature chimique du cancer du sein, a abouti à une étude pilote qui analyse de premières séries d’échantillons en chimie analytique afin de trouver la signature olfactive. De plus, il a donné naissance à sept études ancillaires qui bâtissent un socle de connaissances utiles à toutes les recherches utilisant l’odeur pour détecter des maladies (par exemple, la façon de prélever des odeurs). Si nous trouvons la signature olfactive du cancer du sein, nous pourrions développer une truffe électronique. C’est ambitieux, mais, cela nous semble réalisable, au regard des progrès technologiques.
De surcroît, si nous avions cette signature, nous pourrions sans doute continuer le projet Kdog-1. En effet, grâce à des compresses pré-imprégnées de la signature, nous pourrions éduquer les chiens de façon beaucoup plus stable et renforcer leurs performances. Cette voie d’implémentation reste intéressante, car les chiens seront plus accessibles aux pays à faible accès aux soins que des truffes électroniques.
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