Dans les laboratoires où se prépare la médecine personnalisée, des scientifiques sont à l’avant-garde des organes sur puce, comme Stéphanie Descroix, directrice de recherche CNRS à l’Institut Curie. La chercheuse, qui confiait récemment au journal du CNRS son enthousiasme pour ses « tumeurs de patients sur puce », façonne des microdispositifs capables de reproduire le fonctionnement d'organes humains. Son ambition ? Anticiper l'efficacité des traitements anticancéreux pour chaque patient. Une quête emblématique de la révolution revendiquée par les organes sur puce, alors que 90 % des médicaments testés sur les animaux s'évanouissent avant d'atteindre le marché. Sans compter que les tests sur les animaux échouent à prédire la toxicité pour l'humain dans au moins 50 % des cas.
La prouesse technologique des organes sur puce catalyse déjà une intense rivalité internationale. Si les États-Unis affichent leur suprématie financière avec des investissements privés colossaux (345 millions de dollars pour la seule entreprise Emulate), l'Europe fait jeu égal sur le terrain scientifique. Les équipes du Vieux Continent cumulent près de 5 000 publications, talonnant les 5 797 publications américaines. Un dynamisme porté par des pôles d'excellence comme l'Université de Twente aux Pays-Bas ou l'University College de Londres au Royaume-Uni.
Si les organoïdes servent de modèles pour étudier le fonctionnement d’un organe dans sa complexité, les organes sur puce en sont une déclinaison pratique partielle dans un environnement contrôlé
Les organes sur puce sont conçus pour assurer le suivi en temps réel de fonctions biologiques d’intérêt ; ils servent aussi bien la recherche fondamentale, l’industrie pharmaceutique, que la médecine personnalisée, voire la production de tissus pour la médecine régénératrice. Si les organoïdes servent de modèles pour étudier le fonctionnement d’un organe dans sa complexité, les organes sur puce en sont une déclinaison pratique partielle qui permet de contrôler l’environnement physique et chimique à l’aide de canaux, de capteurs ou encore de micro-électronique.
Du laboratoire au chevet des patients
A-t-on affaire à une technologie de pointe complémentaire, susceptible de révolutionner la médecine du futur ? L’organe sur puce, microscopique laboratoire de poche, est capable de reproduire le fonctionnement d’un organe en miniature. En somme, un bout de plastique translucide contenant des cellules vivantes, permet de tester des médicaments, comprendre des maladies et personnaliser les traitements, sans sacrifier d'animaux.
Cette innovation s'inscrit dans une constellation d’avancées biomédicales. Aux côtés des embryoïdes et des organoïdes qui percent déjà les mystères du développement humain, les organes sur puce esquissent les contours d'une recherche plus prédictive.
En oncologie, l'équipe de Stéphanie Descroix a déjà démontré la faisabilité des tests personnalisés sur une dizaine de patients. Le principe ? Recréer une version miniature de la tumeur du patient sur puce pour tester différentes chimiothérapies avant le traitement. Un essai clinique est en prévision avec 200 patients. Le CEA envisage d’autres possibilités, après avoir réussi à maintenir des îlots pancréatiques fonctionnels pendant 43 jours sur puce. De nouvelles perspectives s’ouvrent ainsi pour le traitement du diabète et plus largement pour les maladies chroniques. Le consortium « Liver Ring Trial » développe des foies artificiels capables de prédire la toxicité des médicaments pour chaque patient.
Le programme et équipement prioritaire de recherche (PEPR) MED-OOC (organes et organoïdes sur puces), doté d'une enveloppe de 48,4 millions d’euros pour six ans, cristallise l’ambition d'allier excellence éthique et progrès médical. Cette initiative de recherche, coordonnée par l'Agence nationale de la recherche, fédère l'expertise du CEA, du CNRS et de l'Inserm pour façonner une nouvelle génération d'organes sur puce à partir des cellules des patients. À la clé : des doubles biologiques miniaturisés capables de mimer fidèlement la singularité physiologique et pathologique de chacun. L'expertise française dans ce domaine s'appuie sur un maillage étroit entre grands organismes de recherche et bénéficie notamment de l'écosystème grenoblois, pionnier dans l'industrialisation de ces technologies.
La réplique européenne s'organise
C'est désormais dans l'arène réglementaire que se dessine l'avenir. Les États-Unis ont pris les devants avec le FDA Modernization Act 2.0, ouvrant depuis décembre 2022 la voie aux organes sur puce dans les essais précliniques. Une manœuvre stratégique pour propulser leurs entreprises innovantes.
L'Europe prépare sa riposte. « De nombreuses entreprises européennes comme TissUse, Cherry Biotech, Mimetas, Netri déploient déjà leurs solutions d'organes sur puce », souligne pour le Quotidien le Joint Research Center (JRC), le service scientifique interne de la Commission européenne. Des initiatives tracent la voie pour les développeurs dans un contexte réglementaire jusque-là nébuleux. Le JRC, en lien avec la société savante européenne née en 2018 Euroocs (pour European Organ-on-Chip Society), orchestre la standardisation des technologies pendant que le Laboratoire de référence pour l’Europe sur les alternatives aux tests chez l’animal (Eurl Ecvam) travaille à leur validation.
Quelles applications en clinique ?
- Prescription personnalisée : les médicaments pourraient être testés sur un « avatar miniature » du patient.
- Oncologie de précision : l'efficacité des chimiothérapies pourrait être évaluée sur les tumeurs du patient reproduites sur puce.
- Maladies rares : la modélisation des pathologies pourrait accélérer la découverte de traitements.
- Médecine prédictive : la reproduction des conditions pathologiques permettrait d’anticiper l'évolution des maladies chroniques.
- Greffes : la compatibilité des organes pourrait être mieux cernée avant transplantation.
- Tests toxicologiques : les effets indésirables des traitements pourraient être repérés plus rapidement.
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