C'est la première fois qu'une instance éthique se prononce sur les embryoïdes ou modèles embryonnaires : le conseil d'orientation de l'Agence de la biomédecine (ABM) propose, dans un avis publié ce 11 octobre, un encadrement des recherches les concernant pour éviter les dérives, tout en soulignant leur intérêt scientifique et éthique. Ces modèles donnent l'espoir d'obtenir des lumières sur la boîte noire qu'est le développement précoce de l'embryon humain, en se passant d'embryons humains qu'il faudrait détruire au terme de l'expérimentation.
Que sont ces embryoïdes ? Actuellement, peu de pays européens souhaitent légiférer sur ce sujet (sauf les Pays Bas), préférant s'en remettre aux recommandations de l'International Society for Stem Cell Research (ISSCR). Celle-ci rappelle en juin 2021 que ces modèles ne doivent pas être considérés comme des embryons, ni biologiquement, ni légalement.
Le conseil d'orientation de l'ABM insiste : les embryoïdes ne peuvent être équivalents à des embryons (et ne pourront jamais l'être même si les progrès scientifiques tendent à gommer la différence, au moins chez l'animal), pour deux raisons, liées à leur origine et à l'intentionnalité de leur création. Ils proviennent de cellules souches (cellules souches embryonnaires humaines [CSEh] ou iPS), et non d'une conception naturelle (fécondation consistant en la réunion de deux génomes haploïdes portés chacun par les gamètes parentaux) ; quant à l'intentionnalité qui a présidé à leur survenue, elle n'est en rien identique à celle d'un projet parental.
Pas des embryons, mais une modélisation de leur développement
Les embryoïdes sont en effet obtenus à partir de l'auto-organisation tridimensionnelle de CSEh ou d'iPS (complémentées ou non par des cellules souches reflétant les tissus extra-embryonnaires). On distingue plusieurs types, selon leur degré de complétude et de stade de développement. Les gastruloïdes miment le développement au stade de la gastrulation (la mise en place du mésoderme, autour du 15e jour du développement embryonnaire), tout en restant incomplets comparés aux embryons du même stade (manquent la partie antérieure du corps et le trophoblaste).
D'autres modèles murins dits intégrés, constitués par l'agrégation de CSE en combinaison avec des cellules souches des tissus extra-embryonnaires, peuvent se développer jusqu'à environ un tiers de la gestation. Enfin des modèles encore plus intégrés ont permis, en agrégeant des cellules souches précurseurs de l'embryon et de ses annexes, de reconstituer un modèle complet de l'embryon pré ou post-implantatoire murin ou humain. Ces modèles sont au cœur d'une compétition internationale au moins entre deux équipes, celle de la chercheuse Magdalena Zernicka-Goetz, au Royaume-Uni, et celle de son collègue Jacob Hanna, en Israël.
Sans être des embryons, les embryoïdes ne se résument pas pour autant à des amas cellulaires classiques (vision permissive conduisant à évincer un encadrement spécifique). Le conseil de l'ABM se range à une position intermédiaire (qui est celle de l'ISSCR), estimant qu'ils modélisent le développement embryonnaire précoce et permettent des avancées scientifiques et médicales. Il considère qu' « ils méritent un encadrement spécifique qui doit être plus souple que celui concernant la recherche sur l'embryon (soumise à un régime d'autorisation, en fonction de la pertinence scientifique, l'existence d'une finalité médicale, l'absence d'alternative…) mais plus strict que celui concernant la recherche sur les lignées de cellules classiques ». Les embryoïdes entrent pourtant dans ce régime de déclaration auprès de l'ABM, en vertu de la loi de bioéthique de 2021.
Durée limite de 28 jours, consentement à revoir
Comment éviter les dérives ? Le Conseil d'orientation rappelle d'abord les lignes rouges : est notamment interdite l'implantation de modèles embryonnaires humains dans des utérus (humains ou animaux). Ces embryoïdes ne doivent être utilisés que dans le cadre de recherches scientifiques, et ne pas être exploités commercialement.
Alors qu'aucune limite n'est fixée en France, le Conseil d'orientation propose ensuite d'autoriser les recherches sur des embryoïdes intégrés (en particulier les blastoïdes) jusqu'à un stade de développement équivalent au 28e jour du développement de l'embryon naturel, avec arrêt de toute expérimentation au-delà de ce stade. « Ces recherches permettraient de réduire considérablement cette période de la boîte noire qui va actuellement du 14e jour (date limite de culture des embryons humains, fixée par la loi de bioéthique, que le conseil d'orientation ne souhaite pas étendre, NDLR) jusqu'au début du deuxième mois », lit-on. C'est notamment là qu'a lieu l'étape de gastrulation, durant laquelle la majorité des maladies congénitales apparaissent. Les embryoïdes soulèvent l'espoir d'améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation, de mieux comprendre les anomalies du développement et des avortements précoces, de conduire des essais pharmacologiques et toxicologiques, et de mettre au point des thérapies cellulaires.
Dépasser 28 jours de culture ne serait en revanche pas justifié, est-il argumenté, car en l'état actuel de la science ces modèles dérivent par rapport au développement physiologique et perdent toute leur utilité scientifique et médicale. En outre, au-delà du mois, il existe d'autres modèles alternatifs (par exemple, les modèles non intégrés, concernant uniquement le développement d'un organe ou d'un ensemble d'organes).
Le Conseil scientifique suggère en revanche que les auteurs des protocoles prolongeant la culture des embryoïdes de 14 à 28 jours fournissent une justification argumentée, même si le stade de 28 jours ne correspond qu'au tout début de l'organogenèse (le cortex cérébral apparaît plus tardivement ; sans parler du ressenti de la douleur, située au-delà de la 20e semaine au moins).
Enfin, le conseil d'orientation invite à revisiter la question du consentement, afin d'actualiser les formulaires d'information et de consentement remplis par les couples ou les femmes seules qui donnent leurs embryons à la recherche, ou par les personnes qui donnent leurs cellules somatiques avec l'objectif de générer des cellules iPS.
La question des embryoïdes et plus largement les recherches sur les CSEh et les iPS feront l'objet d'une session lors des rencontres de l'ABM ce 13 octobre.
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