Journée mondiale du diabète

Cent ans d’insuline et encore des défis…

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Publié le 22/11/2021
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En 1921 était découverte l’insuline. Cent ans après, les formulations se sont nettement perfectionnées et le pancréas artificiel hybride est désormais une réalité. Mais la quête de l’insuline orale patine et, au quotidien, la charge mentale des patients reste lourde, notamment dans le DT1. Dans le DT2, l’heure est à la personnalisation de l’insulino­thérapie. À l’occasion de la Journée mondiale du diabète, le point avec le Pr Charles Thivolet, président de la Société francophone du diabète (SFD).

Crédit photo : VOISIN/PHANIE

Cent ans après sa découverte, où en est-on en matière d’insuline ?

Pr Charles Thivolet : La découverte de l’insuline il y a 100 ans a clairement révolutionné la thérapie et le pronostic du diabète, mais il reste encore des défis à relever. Si l’accès en France à ce médicament est total et sans exception, d’autres pays n’ont pas cette chance, faute de système de soins aussi développé que le nôtre et/ou de solidarité nationale. Et en Europe, seuls 25 % des diabétiques de type 1 sont à l’objectif glycémique, en dépit du perfectionnement des prises en charge, des technologies et de l’organisation du système de soins. Par ailleurs, la détresse liée au diabète et le fardeau de la maladie restent des soucis majeurs.

Certaines innovations pourraient justement venir alléger le quotidien des patients sous insuline…

Pr C. T. : L’administration d’insuline par boucle fermée hybride (ou « pancréas artificiel »), avec couplage d’une pompe à insuline et d’un capteur de glucose en continu qui permet la délivrance quasi automatisée des bonnes doses au bon moment, arrive peu à peu sur le marché. C’est une révolution et l’arme ultime pour maintenir la glycémie dans les objectifs, prévenir les complications et réduire le risque hypoglycémique mais aussi soulager l’investissement des patients. Mais, pour cela, certains obstacles doivent encore être surmontés, comme les difficultés de l’algorithme à anticiper des prises alimentaires ou une activité physique soutenue, et le délai de résorption de l’insuline plus ou moins incompressible. La thérapie cellulaire par greffe d’îlots de Langerhans est aussi une option à même de réduire les besoins insuliniques et, par conséquent, la charge mentale et la détresse liée au diabète.
Mais ces innovations ne bénéficieront pas à tous les diabétiques (pancréas artificiel restreint aux diabétiques déséquilibrés de plus de 18 ans), d’où la nécessité de développer de nouvelles thérapies et d’accompagner les patients au quotidien à l’aide des nouvelles technologies, dont un accès élargi à la télémédecine.

Peut-on espérer prochainement de nouvelles galéniques plus faciles à manier ?

Pr C. T. : Des insulines intelligentes ou « smart insulins », contenues dans un hydrogel inclus dans des micro-­aiguilles transdermiques, sont à l’étude, l’idée étant d’obtenir une délivrance glucose-dépendante. Mais cela reste encore du domaine de la science-fiction. Quant aux insulines nasales et orales, leur mise au point demandera encore beaucoup de temps. Si on y parvient ! Car, par exemple, seuls 10 % de l’insuline nasale passe dans l’organisme. Or, des doses élevées épaississent les muqueuses nasales. Pour sa part, l’insuline en aérosol a été abandonnée du fait d’effet sur la membrane alvéolaire pulmonaire et une perte de 10 % du score à l’exploration fonctionnelle respiratoire.
L’insuline orale est aussi un vieux rêve, plutôt dans le diabète de type 2 (DT2) où les besoins ne sont pas aussi importants que dans le diabète de type 1 (DT1). L’idée est d’enrober l’insuline afin d’avoir une délivrance exclusivement duodénale. Ces développements sont encore au stade expérimental.

La mise sous insuline reste-t-elle trop tardive ?

Pr C. T. : Je ne le pense pas. Pour le DT1, l’enjeu réside surtout dans le diagnostic, qui se révèle encore trop souvent par une acidocétose, notamment chez l’enfant. On doit penser au diabète même sans antécédents familiaux, dans un contexte familial de maladie auto-immune… Mais la mise sous insuline est globalement réalisée de façon précoce et adaptée.
Dans le DT2, il y a 10-15 ans, on déplorait l’« exception française », avec moins de patients sous insuline comparativement à certains voisins européens. Mais aujourd’hui, la panoplie des médicaments est telle qu’avant d’envisager l’insuline, toute une série de combinaisons peut être tentée. Certaines comportent de l’insuline, d’autres non. Quant à la titration de l’insuline, son optimisation n’est parfois pas correctement réalisée. Il ne faut néanmoins pas la pointer du doigt trop facilement : si l’HbA1c n’est pas contrôlée, le problème peut être ailleurs. Le schéma thérapeutique doit être repensé, des associations tentées, une diététique réajustée. C’est le « renouveau du clinicien » : les raisonnements sont plus ouverts, laissés à son appréciation. Et l’enjeu actuel, promu par la SFD, est le concept de « désescalade thérapeutique », c’est-à-dire cesser d’empiler les médicaments et remettre à plat le schéma thérapeutique, sans persister dans l’erreur et l’inefficacité.

Quels sont les enjeux autour de l’insuline en termes de stratégie thérapeutique ?

Pr C. T. : L’enjeu est de poursuivre dans la direction de la personnalisation de l’insulinothérapie, notamment dans le DT2. En cas d’échec de bi ou de trithérapies, nous sommes amenés à envisager des schémas combinés avec des traitements oraux (SGLT-2) ou injectables (analogue du GLP-1). L’insuline basale, voire en multi-injections, est désormais prescrite à la carte, en complément d’autres stratégies, avec une personnalisation en fonction du risque cardiovasculaire, du poids et du risque d’hypoglycémies. On se trouve dans une stratégie globale et à long terme qui doit apprécier plusieurs facteurs, dont le glucose n’est qu’un élément.
Dans le DT1, les enjeux recouvrent l’ajustement des doses et la charge mentale liée aux contrôles. L’éducation thérapeutique a pour défi de convertir le patient en acteur de sa thérapie.

Une découverte canadienne
100 ans… C’est en 1921 que les chercheurs canadiens Frederick Banting, Charles Best et John Macleod parvinrent, pour la première fois, à extraire et à purifier l’insuline. Dès 1922, elle sauva un jeune diabétique au stade de coma. Cette découverte sera couronnée par le prix Nobel un an plus tard. En 1923, la production d’insuline extraite de pancréas de bœuf et de porc démarre. L’insuline d’action intermédiaire (NPH) est conçue en 1946 et la première insuline d’origine humaine obtenue par génie génétique commercialisée en 1982. Les analogues rapides (1997) et les analogues lents (2003) apparaissent successivement.
En leur temps, les codécouvreurs ont vendu les droits de brevet à l’université de Toronto pour un dollar symbolique en déclarant : « l’insuline appartient au monde, pas à nous ». La réalité est pourtant marquée par une inégalité d’accès à l’insuline importante : en 2030, 79 millions d’adultes atteints de DT1 en auront besoin dans le monde mais seuls 38 millions en disposeront.


Source : Le Généraliste