À la lumière d’un suivi de 20 ans, une équipe chinoise a retracé l’histoire naturelle des biomarqueurs de la maladie d’Alzheimer au cours des 18 ans qui précèdent l’arrivée des symptômes. Les résultats de cette étude longitudinale sont publiés dans le New England Journal of Medicine (NEJM).
Outre la sémiologie cognitive et l’imagerie structurelle, les experts disposent depuis quelques années de différents biomarqueurs pour le diagnostic de la maladie d’Alzheimer (MA). Le dosage du peptide amyloïde-béta (Aβ) et de la protéine tau phosphorylée dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) ainsi que la réalisation d’une imagerie TEP-amyloïde permettent d’aiguiller de façon plus certaine vers la MA, du vivant du patient. De plus, il a été montré que la présence de ces biomarqueurs dans le LCR, ainsi que celle d’un taux élevé de neurofilaments light chain (NFL) s’observe en phase pré-clinique de la maladie. De récentes recherches ont pu également objectiver la présence de ces biomarqueurs dans le sang quelques années avant l’apparition des premiers symptômes.
Les auteurs de l’étude publiée dans le NEJM, dans la lignée des travaux réalisés sur la cohorte Dian composée de patients pré-symptomatiques souffrant d’une maladie d’Alzheimer d’origine génétique, ont souhaité étudier l’évolution des biomarqueurs du moment où le sujet est cognitivement sain jusqu’à l’apparition de la démence, cette fois sur des cas d’Alzheimer sporadique. Ils se sont ainsi appuyés sur la cohorte nationale China Cognition and Aging Study, comptant 52 388 individus suivis de janvier 2000 à décembre 2020. Un sous-groupe de 32 061 individus éligibles, entre 45 et 65 ans et sans déclin cognitif ni prédisposition à la MA, a réalisé tous les 2 ou 3 ans un dosage du liquide cérébrospinal et sanguin, une IRM, ainsi que des tests d’évaluation cognitive. À l’issue du suivi, 695 individus avaient été diagnostiqués pour une MA et 1 094 étaient cognitivement sains. Les chercheurs ont ainsi pu appareiller 648 individus souffrant d’une MA avec 648 patients sains.
Des biomarqueurs qui se révèlent petit à petit
À l’inclusion, les taux de biomarqueurs du LCR, les volumes hippocampiques et les scores cognitifs étaient similaires dans les deux groupes. Les scientifiques ont ainsi pu objectiver l’apparition progressive de certains biomarqueurs à X années du diagnostic. Ainsi, en comparaison avec les cas contrôles, la concentration du peptide Aβ-42 commence à baisser significativement dans le liquide céphalo-rachidien 18 ans avant le diagnostic, un ratio anormal Aβ-42/Aβ-40 est retrouvé à14 ans, la tau phosphorylée 181 est augmentée dès 11 ans, la tau totale, l’est à 10 ans et le taux de NFL l’est à 9 ans. Le volume hippocampique diminue bilatéralement à 8 ans (combiné à l’atrophie liée à l’âge) et le déclin cognitif s’observe dès 6 ans avant le diagnostic. Enfin, les individus ayant déclaré une MA étaient plus fréquemment porteurs d’un allèle ApoE ε4 (37,2 versus 20,4 %).
Des résultats intéressants pour la physiopathologie, pas tant pour la clinique
Cette étude suggère que bien avant l’apparition de symptômes cognitifs, des éléments paracliniques peuvent annoncer la MA. Ces résultats pourraient-ils servir à la pratique clinique pour des diagnostics précoces ou des diagnostics de prédisposition à la maladie ?
Actuellement, en France, le dosage des biomarqueurs n’est utilisé que pour confirmer ou infirmer un diagnostic de maladie d’Alzheimer en présence de symptômes. « Le dosage chez des patients cognitivement sains n’est pas réalisé en France. La question du diagnostic préclinique grâce aux biomarqueurs fait actuellement débat au sein de la communauté internationale, mais des cohortes prospectives de sujets âgés cognitivement sains avec présence de plaques amyloïdes ont montré que plus de 80 % des individus restent cliniquement parfaitement stables après 5 ans de suivi », explique le Dr Vincent Planche, neurologue et responsable du centre mémoire de ressources et de recherche du CHU de Bordeaux.
De plus « À 80 ans, environ 30 % des sujets cognitivement sains sont amyloïde-positifs à l’analyse du LCR ou sur une TEP-amyloïde. Faut-il annoncer une maladie d’Alzheimer à tous ces gens qui ne développeront jamais de symptômes ? Je ne pense pas ». Enfin, il faut rappeler que le prélèvement de liquide céphalo-rachidien est un geste invasif. Pour ces raisons, il semble compliqué aux yeux du Dr Planche de tester les patients sans signe cognitif, d’autant qu’actuellement, aucun traitement ni stratégie préventive spécifique n’existent pour cette population.
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