Deux ans après un premier rapport sur les relations entre les médecins et l’industrie pharmaceutique, l’Ordre (Cnom) remet le couvert avec un nouvel opus qui montre une augmentation des liens entre les professionnels de santé et les laboratoires.
Conformément aux textes réglementaires, ce rapport a pour objectif d’évaluer et de vérifier les avantages offerts par les industriels du médicament aux médecins, quitte à recadrer voire sanctionner les plus gourmands.
Ce travail est réalisé au sein d'une commission dédiée aux relations médecins/industrie, le Cnom devant examiner les recommandations (pour les conventions inférieures à 2 000 euros) et les autorisations (pour celles ayant des montants supérieurs à 2 000 euros). Les premières relèvent plutôt de l’avis ordinal, les secondes peuvent être autorisées ou refusées. Les règles sont strictes (lire encadré).
Les cas traités entrent dans deux catégories : le dossier d’hospitalité, lorsqu’un labo finance le transport, l’hébergement, les frais de bouche ou l’inscription d’un médecin invité à un événement de type congrès médical ; le dossier d’honoraires, qui renvoie à une rémunération par l’industriel pour des services ou des activités dites accessoires assurées par le médecin. Orateur pour un congrès à l'étranger, organisation d’un évènement scientifique, réalisation d'une formation à une technique innovante, participation à l'expérimentation d'un médicament ou à une commission d'AMM… Ce champ est vaste.
Temps libre « excessif » et frais d’hôtellerie « trop élevés »
En 2024, l’Ordre a reçu 16 898 autorisations et 64 141 recommandations, des chiffres en légère augmentation par rapport à 2023 mais en très forte hausse sur cinq ans.
Comme un dossier peut lui-même comprendre plusieurs conventions, le nombre total de dossiers « traités » par le Cnom a bondi entre 2020 et 2024 de 1 090 à 35 121 pour les autorisations et de 745 à 25 665 pour les recommandations.
Le nombre de médecins bénéficiaires directs ou indirects des avantages passe de 115 361 en 2022 à 118 207 en 2024 sur un total de 234 000 médecins en activité en France, soit 50,5 % du corps médical.
Concernant les demandes de validation pour chaque convention à plus de 2000 euros, l’Ordre a rejeté 1 726 demandes sur les 25 553 soumises. En cause : des cas hors procédure, des frais d’hospitalité ou des honoraires « trop élevés », du temps libre jugé « excessif » par rapport à la durée du programme scientifique auquel le médecin s’est engagé ou encore l’absence d’autorisation de sa hiérarchie hospitalière ou universitaire.
Le Cnom pointe aussi une certaine « discordance » entre le contenu de l’autorisation de la hiérarchie et celui de la convention, voire « aucun intérêt scientifique » à la participation dudit médecin au congrès à l’étranger. L’Ordre a également refusé la validation de frais d’hospitalité réclamés par des internes, des docteurs juniors, des FFI ou des médecins diplômés hors Union européenne (Padhue) puisque cette possibilité leur est interdite.
La nuit américaine à 600 euros
Pour parvenir à ces conclusions, l’instance travaille au cas par cas tout en suivant ce qu’il appelle des « lignes directrices ». Il s’agit de grands principes fondés sur l’inflation, la cohérence avec les pratiques étrangères et les médecins étrangers, le rayonnement de la recherche française. Ainsi, une nuitée aux États-Unis pour un orateur dans un congrès international ne pourra pas dépasser 600 euros. Le taux horaire des honoraires est de 250 euros net maximum.
Dérives et contournement du système
Au fil des ans, l’Ordre a identifié une prise en main de ce dispositif d’encadrement des avantages qui n’est pas dans les clous. Ainsi, des industriels vont adresser un dossier relatif à un médecin invité à un congrès à l’étranger ; l’Ordre va refuser au principe que le déplacement du professionnel n’est pas légitime puisqu’il peut assister à une manifestation similaire proche de son lieu d’exercice ; l’industriel en question retentera sa chance avec le même médecin pour le même congrès quelques mois plus tard.
Dans la même veine, le Cnom déplore le cas d’un médecin président d’une association ayant conclu une convention avec un industriel alors que le versement des avantages est effectué auprès de l’association dont le bénéficiaire indirect est… le médecin. Tout cela relève du « contournement », affirme l’instance ordinale.
Reste que le nombre de médecins qui font l’objet de poursuites disciplinaires est epsilon. Depuis 2018, six professionnels ont été repérés pour manquement à la déontologie médicale, à l’indépendance professionnelle et aux règles relatives au cumul d’activités. Quatre affaires sont encore en cours devant la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre.
Quand faut-il déclarer ses avantages ?
L’arrêté du 7 août 2020, entré en vigueur en octobre de la même année, fixe les montants à partir desquels une convention entre un laboratoire et un médecin est soumise à autorisation de l’Ordre. Conscient du contexte inflationniste actuel, le Cnom est favorable à une augmentation de ces seuils.
- Rémunération nette, indemnisation et défraiement d'activités de recherche, de valorisation de la recherche, d'évaluation scientifique, de conseil, de prestation de services ou de promotion commerciale : 200 euros par heure, dans la limite de 800 euros par demi-journée et de 2 000 euros pour l'ensemble de la convention. Les frais d'inscriptions aux manifestations peuvent être pris en charge en sus et doivent faire l'objet d'une demande d'autorisation à partir de 1 000 euros.
- Dons et libéralités destinés à financer exclusivement des activités de recherche, de valorisation de la recherche ou d'évaluation scientifique : 5 000 euros.
- Hospitalité offerte lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique, ou lors de manifestations de promotion des produits ou prestations : 150 euros par nuitée, 50 euros par repas et 15 euros par collation, et 2 000 euros pour l'ensemble de la convention incluant le coût des transports pour se rendre sur le lieu de la manifestation.
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