LE QUOTIDIEN : Les tarifs des hôpitaux publics vont augmenter de 4,3 % et ceux des cliniques de 0,3 % en 2024. Comment expliquez-vous cette différence de traitement ?
LAMINE GHARBI : Serait-ce une volonté de la part du gouvernement de contraindre les hôpitaux privés à disparaître ? C’est incompréhensible. Quatre points d’écart, c’est du jamais-vu. Une évolution de 0,3 % de nos tarifs ne nous permet même pas de revaloriser le salaire de nos employés, ni de lutter contre l’inflation ou d’investir. À titre d’exemple, 0,3 % correspond au montant de la taxe EDF que nous devons payer.
Cet arbitrage favorise l’hôpital public. C’est une manière de l’aider à retrouver le chemin de l’activité à notre détriment. En volume d’activité, les hôpitaux publics sont à -2,6 % par rapport à 2019. Ce que je trouve tout de même incroyable puisque je rappelle qu’en quatre ans, nous avons gagné trois mois d’espérance de vie. Nos concitoyens sont plus âgés, et heureusement plus nombreux.
Alors qu’il existe trois millions de séjours non traités en post-Covid, l’État nous reproche d’avoir pris en charge trop de patients (400 000 de plus en 2022 et 2023) et d’avoir, de facto, dépassé notre plafond de 400 millions d’euros par rapport à notre volume prévisionnel. C’est vraiment vouloir nous contraindre. On oublie trop souvent que tout acte réalisé dans le privé coûte 30 à 40 % moins cher que dans le public. C’est un double non-sens : économique pour le déficit de la Sécurité sociale, et médical au sens du service rendu à la population.
Pourquoi considérez-vous que l’hôpital public est délibérément favorisé ?
Sur 2023, les hôpitaux publics ont obtenu plus de deux milliards d’euros de compensation pour de la non-activité. Il y a 470 millions d’euros par la restitution de la sous-exécution de l’Ondam [dépenses annuelles de santé, NDLR]. Les hôpitaux ont un volume prévisionnel d’activité : s’ils n’y arrivent pas, c’est merveilleux, on leur donne de l’argent. S’ajoute la garantie de financement [mécanisme annuel mis en place depuis la crise sanitaire, NDLR], qui s’est soldée par une aide d’1,2 milliard d’euros.
Enfin, comme si cela ne suffisait pas, il faut ajouter 500 000 euros d’aides pour compenser l’inflation, reçus fin 2023. Sur cette dernière enveloppe, le privé commercial a obtenu 75 000 euros et le privé à but non lucratif (la Fehap) 75 000 euros. Pour nous, c’est donc 15 % de la somme alors qu’on réalise 35 % de l’activité. Cherchez l’erreur.
Vous avez dit vouloir déposer « toutes formes de recours en justice pour rétablir l’équité ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Cette inégalité de traitement nous contraint à envisager tous les moyens à notre disposition, en particulier juridiques, pour faire valoir nos droits. La contestation devant le Conseil d’État de l’ensemble des arrêtés nationaux déclinant la campagne 2024 est à l’étude. Nous songeons aussi à la possibilité de contester au niveau de chaque établissement, en incitant nos adhérents à porter systématiquement des recours devant les tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale.
Ces recours viseraient notamment l’inégalité de traitement des mesures salariales et l’absence de financement de l’inflation par les tarifs. Enfin, Nous étudions aussi la possibilité d’une action plus structurelle devant la Commission européenne.
Avez-vous pu négocier ces tarifs ?
Encore aurait-il fallu qu’on soit reçus. D’habitude, les semaines précédant chaque campagne tarifaire, nous avons des discussions avec l’administration de la santé (DGOS). Cette année, nous n’avons eu aucune réunion préalable. Elles étaient toutes reportées semaine après semaine. J’ai appris les premiers arbitrages dans la presse. Des rendez-vous seraient prévus d’ici la fin du mois d’avril.
Je n’ai aucune idée de l’ordre du jour, ni de la volonté du gouvernement et du ministre délégué à la Santé de compenser l’écart entre public et privé. Nous demandons 500 millions d’euros afin de compenser ces 4 % de différence. Pour être pleinement satisfaits, c’est simple, nous voulons l’équité. Et l’égalité.
Nous en avons assez d’être stigmatisés par le gouvernement, assez d’être montrés du doigt alors que nous rendons, tous les jours, sur le territoire, un nombre incroyable de services à la population. Plus de 50 % de la chirurgie cancérologique et 70 % de la chirurgie ambulatoire sont le fait des cliniques privées. Nous sommes présents sur les territoires, nous assurons les urgences et la permanence des soins. Nous voyons trois millions de patients en urgence. Nous voulons être reconnus à notre juste valeur. C’est le sens de la grève du 3 juin avec les médecins libéraux. C’est la démonstration concrète de l’impossibilité, pour nous, d’accepter cette discrimination.
Si vous obtenez gain de cause, la grève du 3 juin sera-t-elle maintenue ?
Il y a deux entités dans cette grève : les médecins libéraux et la FHP. Si nous obtenons une réponse positive à nos demandes, il faut également que les syndicats libéraux obtiennent des réponses positives à leurs revendications, notamment au sujet de la convention médicale. Nous sommes deux partenaires, il faudra qu’il y ait un plein accord des deux parties pour lever le mouvement de grève, qui est bien sûr reconductible.
Le soutien des médecins est-il uniquement syndical ou se manifeste-t-il sur le terrain ?
Il est compliqué d’évaluer le nombre de médecins en grève, mais nos praticiens n’exerceront pas dans nos blocs opératoires, qui seront fermés. Des mots d’ordre circulent dans tous les syndicats médicaux. Des actions seront également menées dans les établissements spécialisés en rééducation (SSR), en psychiatrie, etc.
Quelles sont les conséquences économiques de cette décision ? Doit-on craindre des licenciements de personnels paramédicaux, voire des fermetures de blocs opératoires ?
On doit craindre des fermetures d’établissements, des fermetures de services d’urgences, obstétrique et de chirurgie. Et bien sûr, il y aura un impact sur les investissements et le social, des risques de licenciement de personnels. Tout cela est absolument dramatique. Nous avons besoin de tous les soignants. Nous sommes entrés dans l’ère de la paupérisation de la santé. C’est un frein à l’accès aux soins de proximité. Je rappelle que les cliniques sont très présentes dans les déserts médicaux, dans les territoires les plus isolés, simplement parce que notre souplesse et notre agilité nous le permettent. Bien plus, en tout cas, que ne le peut la fonction publique hospitalière.
Depuis longtemps, vous appelez à une meilleure coopération entre le privé et le public. Est-ce encore d’actualité ?
J’ai toujours été le premier défenseur de la complémentarité public/privé, et cela depuis l’arrivée d’Agnès Buzyn au gouvernement, en 2017. Mais la donne a changé. Ce changement de paradigme est uniquement dicté par l’agression du gouvernement à notre encontre. Le gouvernement devrait, au lieu de nous opposer, nous faire travailler ensemble. Je regrette cette situation. Pour être complémentaires, il faut avoir les mêmes armes et les mêmes budgets. Je ne peux pas accepter de me laisser marginaliser de la sorte et, à terme, de disparaître.
Le 20 février, en déplacement à Toulouse, Frédéric Valletoux a reproché aux cliniques de ne pas prendre leur part dans l’accueil des patients en psychiatrie. Plus largement, c’est votre prise en charge des urgences qui est pointée du doigt par la tutelle…
C’est un faux débat. On nous reproche de ne pas prendre des patients en urgence tout en nous refusant les autorisations nécessaires pour cela, comme c’est le cas à Toulouse. C’est le serpent qui se mord la queue. C’est effroyable. Les urgences ont toujours été captées par les hôpitaux publics. C’est un moyen de remplir les lits puisqu’un service d’urgences fournit 20 % d’hospitalisation en post-soins. Aujourd’hui, nous bénéficions de 6 % des lits d’astreinte rémunérés, alors même que nous assurons 35 % de la permanence des soins en établissements (PDS-ES).
La DGOS (ministère) a lancé une enquête pour recenser toutes les lignes de garde des cliniques et les forces en présence mobilisables pour cette PDS-ES. Nous sommes déjà engagés dans la réponse de santé aux concitoyens la nuit et le week-end. Nous sommes d’accord pour prendre plus de gardes, pour être davantage présents dans les territoires avec l’hôpital public.
Malheureusement, aujourd’hui, tout cela est battu en brèche. Demander une revalorisation du travail des cliniques dans la PDS-ES, c’est simplement un moyen de matérialiser ce que nous faisons déjà, tous les jours, gratuitement. Je le redis : nos médecins répondent aux appels des urgences et de leurs confrères hospitaliers jour et nuit, sans rémunération. Nous avions publiquement soutenu la réforme de la PDS-ES voulue par Frédéric Valletoux lorsqu’il était député. Le mépris du gouvernement à notre égard aujourd’hui n’en est que plus choquant.
Comprenez-vous le boycott des négociations conventionnelles par une partie des syndicats ?
Je ne suis pas le porte-parole des libéraux, je ne vais donc pas parler à leur place. Je constate que les discussions sont à l’arrêt, ce qui en dit déjà bien long. Les libéraux réclament des revalorisations qui ne sont pas retenues par la tutelle. Je ne m’explique pas davantage la volonté du gouvernement de se passer des médecins au profit des infirmiers. La déclaration de Frédéric Valletoux le 14 avril en ce sens a mis en émoi nos amis médecins.
Vous êtes face à Arnaud Robinet, patron de la FHF, un Rémois comme Catherine Vautrin. Frédéric Valletoux est ancien président de la FHF. Vous ne vous sentez pas un peu encerclé ?
Je ne connaissais pas Catherine Vautrin. Mais oui, je me sens un peu seul dans ce monde hospitalier public que l’on retrouve aujourd’hui au gouvernement. Ou, du moins, dans les couloirs du gouvernement.
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