Publié il y a quelques jours, « Les Fossoyeurs », de Victor Castanet (Fayard), révèle les dérives du « système Orpéa ». Selon le journaliste indépendant, le groupe d'Ehpad et des cliniques aurait « siphonné l’argent public au détriment de ses pensionnaires ». La Dr Michèle Delaunay, cancérologue et ex-ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l'Autonomie, de 2012 à 2014, aujourd’hui présidente du gérontopôle de Nouvelle Aquitaine, réagit pour « Le Quotidien » à la parution de cet ouvrage.
LE QUOTIDIEN : Dans la lecture du livre enquête « Les Fossoyeurs », qu’est-ce qui vous a le plus choquée ?
MICHÈLE DELAUNAY : Le livre met en évidence l’insuffisance des soins prodigués aux patients, le manque de soignants dans les Ehpad du groupe Orpéa, mais aussi le fait que les dirigeants du groupe aient cherché, et obtenu, une protection politique.
Selon Mediapart, les pouvoirs publics fermaient les yeux depuis des années sur la maltraitance et la politique du moindre coût dans certains établissements à but lucratif. Y avez-vous été confrontée ?
Je n’ai jamais reçu d’alertes sur le sujet lorsque j’étais au ministère de la Santé. Mais il est tout à fait possible que les politiques aient fermé les yeux ces dernières années. L'ouvrage évoque une probable relation de connivence entre Xavier Bertrand et Orpéa. C'est un livre extrêmement sérieux, donc il est tout à fait possible que Xavier Bertrand ait protégé ce groupe privé quand il était ministre de la Santé. Si les faits sont avérés, ils sont extrêmement graves, d’autant plus que Xavier Bertrand était candidat à la présidentielle. Personne n’en a la preuve, mais il y a aussi de fortes suspicions qu’il ait agi ainsi pour des raisons financières.
Sur votre compte Twitter, vous évoquez « l’omerta » qui entoure la gestion des Ehpad commerciaux. Certains projets d'émissions de télévision seraient « restés dans leurs boîtes », dites-vous. Que s'est-il passé ?
À la mi-2021, une équipe de télévision est venue tourner deux jours consécutifs chez moi, sur le sujet des dérives des maisons de retraite lucratives. L’équipe avait apporté des preuves de la « masse » d’argent public que recevaient légalement certains Ehpad. Mais cette émission n’a jamais été diffusée… Donc j’espère qu’ils le feront aujourd’hui.
En quoi le « système Orpéa » est problématique selon vous ?
Les entreprises du secteur font des bénéfices considérables. Et, pour en engranger encore plus, ils ont mis en place un système. C’est totalement scandaleux et cela aurait dû être vérifié par une instance publique.
Lorsque j’étais députée, j’avais obtenu un amendement à la loi santé de Marisol Touraine pour permettre à la Cour des comptes de contrôler les maisons de retraite spécialisées, à l’égal des cliniques et des hôpitaux publics. Mais cela n’a peut-être pas été fait de manière assez aboutie. Je pense notamment à la 4e chambre de la Cour des comptes, qui contrôle le financement des Ehpad. Celle-ci ne va pas au fond des choses. D’ailleurs, un des présidents de cette chambre a été récemment embauché par Korian. C’est quand même curieux…
Réaction du groupe Korian, vendredi 28 janvier : « Korian réagit aux propos de Michèle Delaunay pour indiquer qu’il est inexact que le Groupe ait engagé un président de la Cour des comptes. »
Pensez-vous également que le modèle économique d’Orpéa repose sur un usage à mauvais escient de l’argent public ?
Oui, c’est pour cela qu’on doit mettre en place des contrôles extrêmement rigoureux, en particulier sur la qualité de la prise en charge ou du matériel. L’État doit pouvoir vérifier que cet argent est bien utilisé, qu’il n’est pas consacré, par exemple, à rénover une entrée en marbre d’un Ehpad. Nous devons absolument augmenter les capacités de surveillance et de contrôle de ces établissements, voire publier les contrôles effectués pour gagner en transparence.
Qui devrait, selon vous, contrôler les Ehpad ?
J'aimerais que le Défenseur des droits puisse faire des visites d’inspection indépendante dans les Ehpad. Cette institution est aujourd’hui composée de trois collèges : « déontologie de la sécurité », « défense et promotion des droits de l'enfant », « lutte contre les discriminations et promotion de l'égalité ». Or la question des personnes âgées a été récemment intégrée dans la lutte contre les discriminations. Je préférerais qu’on établisse un collège dédié aux droits des personnes âgées.
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