Après dix déplacements aux quatre coins de la France et 36 auditions menées pendant près d’un an, les députées Sandrine Rousseau (Écologiste et social) et Nicole Dubré-Chirat (EPR) ont passé au scanner la prise en charge des urgences psychiatriques en France dans un long rapport assorti d’une vingtaine de recommandations. Un travail salué par les professionnels de santé lors d’un colloque organisé mi-février au Palais Bourbon.
Les deux élues observent que les services d’accueil des urgences (SAU) sont la structure d’accès aux soins par défaut pour les patients nécessitant une prise en charge psychiatrique. En 2023, on recense 566 000 passages aux urgences pour motif psychiatrique, soit une hausse de 21 % par rapport à 2019.
Cette hausse résulte pour l’essentiel de l’absence d’un « parcours type de soins » que déplorent les députées. Selon les départements, des patients aux troubles similaires sont accueillis en centre médico-psychologique (CMP) quand d’autres sont envoyés en centre d’accueil de crises (CAC). Pour les territoires qui en sont dépourvus, les urgences hospitalières deviennent la solution faute de mieux.
Des filières « psy » dans les SAS
Pour redonner du souffle aux urgences, il est conseillé de muscler la régulation en amont et structurer le premier recours. Et notamment de généraliser les filières psychiatriques au sein des services d’accès aux soins (SAS), accessibles par les patients en composant le 15. « On mène actuellement une expérimentation à Rennes et on en voit vraiment l’intérêt, assure le Dr Louis Soulat, vice-président de Samu-Urgences de France. La Direction générale de l’offre de soins (DGOS, ministère de la Santé) a monté un groupe de travail pour déployer ces filières partout dans le pays. »
De cette manière, les médecins régulateurs des SAS pourraient mieux orienter les patients. « Il s’agit en fait de faire le tri entre les patients qui ont vraiment besoin d’aller aux urgences et pour lesquels d’autres structures seraient plus adaptées », abonde le Pr Emmanuel Poulet, président de l’Association francophone pour l’étude et la recherche sur les urgences psychiatriques (Aferup). Le psychiatre aspire même à embarquer davantage de médecins libéraux et psychologues dans la prise en charge psychiatrique de premier recours, un objectif difficile à cocher : « On se heurte à des questions financières pour les patients et les libéraux qui ont aussi leurs contraintes. À Lyon par exemple, on a très peu de psychiatres en secteur 1 donc les patients vont aux urgences », soulève-t-il.
L’attractivité de la psychiatrie, le nerf de la guerre
Mais ces filières ne produisent pas de miracles en aval. « Le souci qu’on rencontre à Rennes, c’est qu’on manque de moyens pour déclencher des prises en charge de soins aiguës avec des équipes mobiles prêtes à intervenir », alerte le Dr Soulat. La faute, selon lui, au déficit d’attractivité des métiers de la psychiatrie. Si le nombre de psychiatres en activité a progressé de 21 % entre 2010 et 2023, « la croissance des effectifs correspond principalement à celle du nombre de retraités actifs (+ 345 %), dont la part est passée de 3,7 % à 13,6 % de l’effectif total » en l’espace de treize ans, lit-on dans le rapport. Sandrine Rousseau et Nicole Dubré-Chirat s’inquiètent ainsi du vieillissement des médecins psychiatres : « au 1er janvier 2028, 19,3 % des actifs réguliers auront atteint l’âge de départ à la retraite », préviennent-elles.
Qui peut prendre en charge les 11-18 ans ? Et où ?
Dr Louis Soulat, vice-président de Samu-Urgences de France (SUdF)
Le problème est d’autant plus criant en pédopsychiatrie où 58 % des lits d’hospitalisation ont été supprimés entre 1986 et 2013. Selon la Cour des comptes, le nombre de pédopsychiatres a chuté de 34 % entre 2010 et 2022. Résultat, en 2023, 123 enfants de moins de 15 ans s’étant présentés aux urgences du CHU de Nantes pour des idées suicidaires ou une tentative de suicide n’ont pu être hospitalisés et ont dû retourner sans soins à leur domicile, lit-on dans le rapport. « Qui peut prendre en charge les 11-18 ans ? Et où ? », s’interroge encore le Dr Soulat.
Le privé lucratif en renfort
Dans l’attente d’attirer de nouveaux docteurs, les députées suggèrent de s’appuyer sur le secteur privé lucratif qui réalise 30 % de l’activité de psychiatrie en France. « On a des patients qui restent bloqués aux urgences alors qu’ils pourraient être hospitalisés rapidement dans le privé », confirme le Pr Poulet. Les élues suggèrent de « garantir un quota de lits de service public en psychiatrie dans les établissements privés afin de fluidifier la filière d’aval des urgences et d’éviter une concentration excessive des prises en charge dans le secteur public ». Une proposition qui ne convaincra pas les plus ardents défenseurs du service public, mais qui va dans le sens de la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP), qui réclame à la DGOS l’ouverture d’un groupe de travail national pour définir dans la filière « la place de chacun » ainsi que les « moyens à mettre en œuvre ».
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