La lombalgie est un motif de consultation fréquent, au deuxième rang pour la lombalgie aiguë, au huitième pour la lombalgie chronique, et on estime que quatre personnes sur cinq souffriront de lombalgie commune au cours de leur vie. Ses conséquences peuvent être lourdes, puisqu’elle constitue la première cause d’exclusion du travail avant 45 ans. Les recommandations précédentes de l’Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) dataient de 2000. Or, diverses enquêtes ont montré que les pratiques sont très hétérogènes, avec un gap entre les recommandations et les pratiques, ainsi qu'un constat : beaucoup d’arrêts de travail, d’imageries, de kinésithérapies sont pratiqués, mais peu de consultations spécialisées. « Cinq messages nous ont semblé particulièrement pertinents : la nécessité d'un diagnostic médical afin d’éliminer les lombalgies symptomatiques secondaires, le maintien des activités quotidiennes, l’activité physique, la kinésithérapie active et la prévention de la chronicité », souligne le Dr Florian Bailly.
E1. Les patients à risque de passage à la chronicité
• Le contexte psychosocial est un terme très global, mais certains facteurs de risque sont maintenant bien établis, comme la « kinésiophobie » (la peur de bouger), l’anxiété ou le catastrophisme chez des personnes qui pensent d’emblée que la lombalgie va mal évoluer et vont se contracter, aggravant ainsi les douleurs.
• Des antécédents douloureux, même de localisation différente peuvent induire par des mécanismes cognitifs des douleurs plus importantes et un risque supérieur de lombalgie chronique.
• Les lombalgies rapportées à un contexte professionnel sont connues pour majorer le risque de passage à la chronicité.
• Les profils personnels à composante anxieuse et/ou dépressive préexistante sont plus à risque, mais il ne faut pas négliger le rôle potentiellement anxiogène des personnels de santé lorsqu’ils parlent de lésions radiologiques ou de « vertèbre déplacée ». Le médecin traitant doit se montrer au contraire rassurant quant au pronostic et mettre à plat les comportements erronés ainsi que les fausses idées sur les lombalgies.
UNE APPROCHE PLUS INTUITIVE DE L’ÉVOLUTION
On utilise alternativement le terme de lombalgie commune ou de lombalgie non spécifique par analogie avec l’anglais « non specific low back pain », un terme mal compris des patients qui l’interprètent souvent comme « le médecin n'a pas compris pourquoi j’ai mal au dos », aussi les experts privilégient-ils celui de lombalgie commune pour faciliter la communication médecin/patient.
Point clef dans la définition, pour caractériser l’évolution, on ne différencie plus forcément lombalgie aiguë ou subaiguë. La notion de « lombalgie à risque de chronicisation » a été introduite pour cibler les patients qui en présence de certains facteurs de risque devront bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire plus active, sans attendre que la douleur ne soit devenue chronique (lire encadré E1).
« Nous privilégions aussi la notion de “poussée aiguë de lombalgie” à celle de “lombalgie aiguë”. Lorsqu’on voit un patient, il s’agit très rarement du premier épisode douloureux, et il a été montré qu’il n’existe pas de séparation vraiment nette entre une lombalgie aiguë qui récidive et une douleur aiguë survenant sur un fond douloureux chronique », poursuit le Dr Bailly.
Ainsi, si les AINS n’ont pas leur place dans une lombalgie chronique, il est licite de les envisager aussi bien pour un premier épisode de lombalgie aiguë que pour l’exacerbation d’une lombalgie chronique. à noter que les lombalgies qui récidivent dans les 12 mois sont à risque de passer à la chronicisation.
DES RADIOGRAPHIES SOUVENT INUTILES
Sauf dans les situations identifiées par la HAS via un “drapeau rouge” (lire encadré E2), c’est-à-dire faisant suspecter une lombalgie symptomatique liée à des causes traumatiques, tumorales ou inflammatoires, les examens radiologiques n’ont pas d’indication dans les lombalgies aiguës.
Dans les lombalgies chroniques, ces examens ne se justifient que dans les douleurs persistant plus de trois mois ou avant un geste invasif (injection épidurale ou chirurgie). Dans ce cas, on demandera plutôt une IRM ou une TDM si l’IRM n’est pas possible. La radiographie standard peut avoir un intérêt si on suspecte un trouble de la statique rachidienne type scoliose, qui ne constitue pas une problématique très fréquente chez les adultes.
« L’imagerie peut au contraire favoriser la chronicité. Après 30/40 ans, elle retrouve très fréquemment des anomalies au niveau des disques, des articulaires postérieures – y compris chez ceux qui n’ont pas mal au dos – et la corrélation entre les lésions radiologiques et la douleur est particulièrement mauvaise. Mais le compte-rendu va inquiéter les patients qui ne vont plus oser bouger et entretiendront ainsi la douleur ; inversement si elle est normale, les patients ne vont pas comprendre pourquoi ils ont mal et vont demander d'autres examens », remarque le rhumatologue.
E2. Les signes d'alerte
• Âge d’apparition inférieur à 20 ans ou supérieur à 55 ans
• Douleur de type non mécanique
• Symptôme neurologique étendu
• Traumatisme important
• Antécédent de cancer, notion de fièvre, d’une perte de poids inexpliquée, d’une altération de l’état général
• Usage de drogue intraveineuse ou corticothérapie prolongée
• Déformation structurale importante de la colonne
• Douleurs thoraciques
DES TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX À VISÉE SYMPTOMATIQUE
Les traitements médicamenteux peuvent aider à diminuer la douleur sans modifier l'évolution de la lombalgie.
→ Les AINS ne sont proposés que pour quelques jours en cas de lombalgie aiguë ou d’exacerbation de lombalgie chronique.
→ L’intérêt du paracétamol a été débattu, car certaines études sont négatives et son efficacité est au mieux modeste. Il peut être prescrit à visée symptomatique avec un niveau de preuve inférieur à celui des AINS mais une tolérance meilleure. Il n’a aucune efficacité sur le long terme.
→ Les opioïdes faibles ne sont indiqués qu’en deuxième intention en cas d’échec ou de contre-indication aux molécules précédentes, avec toutes les réserves suscitées par leurs potentiels effets secondaires et le risque de mésusage.
→ Les corticoïdes sont très souvent prescrits alors que l’absence de donnée ne permet pas de connaître leur éventuel impact. Ils ne peuvent donc pas être recommandés. On ne connaît pas non plus l’éventuel intérêt du néfopam.
→ Les myorelaxants. En France, on ne dispose que de benzodiazépines, prescrites hors autorisation de mise sur le marché, dont aucune étude n’a évalué l’intérêt dans la poussée aiguë de lombalgie. Compte tenu de leur iatrogénie, la HAS a conclu à une balance/bénéfice risque défavorable dans cette situation.→ Les infiltrations épidurales peuvent être envisagées pour une douleur radiculaire sévère et persistante malgré un traitement médical, mais n’ont pas d’indication dans les lombalgies sans radiculalgie.
E3. Lomboradiculalgies : la compression nerveuse n’est pas toujours en cause
• Les infiltrations peuvent se discuter mais n’ont qu’une efficacité à court terme. Si les douleurs persistent avec une composante neuropathique, on peut être amené à prescrire un traitement dirigé contre les douleurs neuropathiques (de type antidépresseur tricyclique ou anti-épileptique après avoir évalué la balance bénéfice/risque.
• En phase aiguë d’une lomboradiculalgie, il n’y a pas d’indication à prescrire une imagerie, sauf si on envisage un geste invasif comme une infiltration ou la chirurgie. Même si elle est plus volontiers demandée qu’en cas de lombalgie simple, elle ne doit pas être faite en première intention mais en cas d’échec des traitements standards. Elle repose sur l’IRM si elle est possible, sinon sur la TDM. « Les radiculalgies ressortent parfois d’un mécanisme compressif, mais souvent d’une inflammation locale qui va disparaître. On peut avoir une réelle radiculalgie avec un territoire bien défini sans qu’il existe de compression nerveuse et qui ne nécessite bien sûr pas de recours à un geste invasif », insiste le rhumatologue.
LES APPROCHES NON MÉDICAMENTEUSES DE PREMIÈRE INTENTION
♦ Il s’agit tout d'abord de rassurer le patient sur ses capacités à bouger et à poursuivre ses activités quotidiennes puis à reprendre des activités physiques adaptées. Même douloureux, le dos résiste ! La kinésithérapie est indiquée dans la lombalgie chronique et chez les personnes à risque de chronicisation. Elle doit être active, avec des étirements et des mouvements. La kinésithérapie passive (massages...etc.) ne doit pas être réalisée isolément, la participation du patient étant indispensable. Le kinésithérapeute lui montrera les exercices à faire lui-même à domicile.
♦ Si elle n’est pas suffisante, on envisagera une prise en charge coordonnée entre le médecin traitant, le kiné, le rhumatologue ou le médecin de MPR (médecine physique et de réadaptation). « Paradoxalement, en cas de douleurs persistantes, les chirurgiens sont souvent consultés avant le rhumatologue ou le médecin de MPR, alors que les indications chirurgicales sont rares. Il faut lutter contre l’idée reçue qu’une lombalgie sévère et/ou persistante nécessite une intervention, préjugé renforcé par la découverte d’une éventuelle anomalie radiographique », insiste le Dr Bailly.
♦ Les thérapies manuelles doivent être utilisées modérément. Les patients apprécient généralement les manipulations ou mobilisations rachidiennes, auxquelles ils attribuent parfois la prouesse de « remettre en place » une vertèbre. Ces thérapies manuelles peuvent se discuter, mais ne doivent pas être réalisées de façon isolée car elles restent un traitement passif et il est primordial que le patient soit actif dans sa rééducation. Elles ne sont de toute façon efficaces qu’à très court terme.
E4. Croyances et comportements : une campagne efficace de l’Assurance maladie
• Bien des comportements et idées reçues participent à la chronicisation du mal de dos, et pour les contrer, la France, à l’instar de l’Australie, l’écosse, la Norvège et le Canada, a débuté une campagne nationale promue par l’Assurance maladie. Une enquête diligentée par la Cnam et menée par les services de rhumatologie de la Pitié Salpêtrière (Paris) et de l’Hôpital Sainte-Marguerite, (Marseille) a évalué son impact auprès du grand public et des médecins. Elle a été présentée par le Dr Martin Badard (PSL) lors du congrès de l’EULAR 2019 (*).
• Six mois après la campagne, en ce qui concerne le grand public, le taux de ceux qui pensent que le repos est le meilleur traitement passe de 68 % à 45 % ( -23 %), qu’aucune activité physique n’est possible diminue de 6 %, tandis que ceux qui considèrent qu’on doit maintenir une activité physique augmente de 31 %, ce qui se traduit par une augmentation de ceux qui continuent leurs activités quotidiennes (6), qui pratiquent une activité physique (5 %) et une diminution de 5 % de ceux qui restent au repos. Ils disent attendre moins de traitements de leur médecin, mais plus de conseils ou de réassurance.
• Chez les médecins généralistes, le nombre de ceux qui pensaient que le repos est indispensable passe de 33 à 15 % et ils deviennent plus confiants dans la possibilité de prévenir le passage à la chronicité (41 % vs 31 %), et plus enclins à rassurer et à conseiller. Ils prescrivent moins d’AT à la première consultation (-19 %) et en particulier moins d’AT supérieurs à 5 jours.
• Ces chiffres sont similaires un an après, mais il reste à savoir si cette amélioration se maintient au long cours et si elle se traduit concrètement au niveau des arrêts de travail.
* Dr Martin Badard & al, Effects on a french mass media campaign on back pain belief and behaviors", Ann Rheum Dis, volume 78, supplement 2, year 2019, page A124
PRÉVENIR LA CHRONICISATION, UN OBJECTIF MAJEUR
L’introduction des termes « poussées aiguës de lombalgie » ou « lombalgie à risque de chronicité » permettent d’ancrer ces nouvelles problématiques de prévention qui n’avaient jusqu’ici pas été abordées, c’est-à-dire à la fois la prise en charge précoce de la poussée aiguë mais aussi la prévention des récidives par la promotion de l’activité physique. Si la première étape insiste sur le maintien des activités, c’est vraiment la reprise ou le maintien d’une activité physique qui a fait la preuve de son bénéfice. Malgré certaines craintes, aucune n’est à prohiber, même si certaines sont plus aisées à reprendre immédiatement. Aussi le choix reste au patient, et la HAS n’en a pas recommandé une en particulier.
« On ne se limite pas à traiter l’épisode douloureux pour aller vers une approche plus globale, prenant en compte les éventuelles poussées antérieures et les facteurs de risque. » Ce qui signifie aussi de se préoccuper de maintenir les gens dans leur travail. Les difficultés professionnelles peuvent favoriser la chronicisation, et les arrêts de travail, surtout répétés et/ou de longue durée, constituent un enjeu majeur, à la fois sur le plan économique et individuel. La lombalgie est responsable de 30 % des arrêts de travail de plus de 6 mois en France et coute un milliard d’euros par an. Il sera nécessaire d’évaluer, en coordination avec le médecin du travail, les difficultés liées au travail et les solutions à envisager pour faciliter la reprise.
Pour vos patients
« Je souffre de lombalgie : de quoi s’agit-il et que faire ? », https://www.ameli.fr/sites/default/files/lombalgie-definition-action_assurance-maladie.pdf
Bibliographie
1- Lombalgie commune en soins premiers, Société française de médecine générale (2017), http://www.sfmg.org/data/generateur/generateur_fiche/1366/fichier_lomba…
2- Santé et maintien en emploi : prévention de la désinsertion professionnelle des travailleurs, Recommandation de bonne pratique (2019), HAS, Société française de médecine du travail, https://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_2903507/fr/sante-et-maintien-en…
3- Lombalgie chronique de l’adulte et chirurgie. Recommandation de bonne pratique, HAS (2015), https://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-03/ar…
4- Prise-en-charge-du-patient-presentant-une-lombalgie-commune, Recommandation de bonne pratique, HAS (2019), https://www.has-sante.fr/jcms/c_2961499/fr/prise-en-charge-du-patient-p…, avec une Fiche mémo (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-04/fm_lombalg…) et un arbre décisionnel (https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2019-04/reco315_ar…)
5- Quelques éléments d’information destinés aux professionnels de santé concernant le patient adulte atteint de lombalgie commune, https://assurance-maladie.ameli.fr/sites/default/files/livret-lombalgie…
Cas clinique
Le prurigo nodulaire
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
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