Le débat autour de l'assistance sexuelle pour les personnes handicapées a été relancé, à l'occasion d'une réunion ce 6 février au ministère de la Santé. Le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), organe consultatif rattaché au gouvernement, estime que l'assistance sexuelle devrait être autorisée à titre dérogatoire et expérimental.
Dès 2021, le CNCPH a été invité à réfléchir au sujet par l'ancienne secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, qui s'était dite « favorable à ce qu’on puisse accompagner la vie intime, affective et sexuelle des personnes handicapées, certaines étant condamnées à vivre dans une abstinence sexuelle non choisie ».
Il en va de la « liberté des personnes handicapées d'avoir une vie intime, affective et sexuelle », affirme aujourd'hui le CNCPH, qui appelle à lever les obstacles juridiques pesant sur l'assistance sexuelle. Et ce, afin qu'elle ne soit pas assimilée juridiquement à de la prostitution, et que les établissements ou professionnels ne soient pas poursuivis pour proxénétisme, et les personnes handicapées elles-mêmes, pour clientélisme.
Projets pilotes de deux ans
Concrètement, le CNCPH considère que des projets pilotes devraient être expérimentés dans au moins deux régions pendant deux ans, en s'appuyant sur les centres ressources vie affective, intime, sexuelle et parentale. Ils seraient ensuite évalués par un comité d'éthique. Les assistants sexuels bénéficieraient d'une formation, et leur activité serait financée par la Sécurité sociale ou par la prestation compensatoire du handicap (PCH), et couverte par une protection juridique. L'assistanat pourrait n'être qu'un travail à temps partiel, afin que le but ne soit pas le profit.
Le CNCPH s'inscrit ainsi dans les pas du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) qui à l'automne 2021 proposait des expérimentations en matière « d'accompagnement aux gestes du corps et à l'intimité ». Mais faut-il aller jusqu'à une aide active à la sexualité (avec implication du corps de l’aidant) ? Là est tout l'enjeu. Et les associations sont divisées, comme elles le sont aussi sur l'articulation avec la prostitution, certaines estimant que cela n'a rien à voir, d'autres assumant davantage un lien (sur le détail des positions, voir notre article de la Rubrique éthique).
Quel lien à la prostitution ?
Lors du débat au ministère, une militante CGT a ainsi fait part de son inquiétude quant à la « marchandisation du corps des femmes », tandis qu'une responsable de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a dit redouter que la légalisation des assistants sexuels « mette en danger » les auxiliaires de vie, qui ne pourraient plus être protégés contre le harcèlement sexuel, si d'aventure une personne handicapée « leur demandait d'être masturbée ».
Au contraire, a observé le psychologue Alain Joret, qui participe à la formation des assistants sexuels en Belgique : l'intervention d'un assistant dévolu à la sexualité « soulage » les aides-soignants de ce type de risques, selon lui. Elle permet en outre aux personnes handicapées (hommes comme femmes !) de se « réapproprier leur corps », qui n'est souvent touché que dans le cadre des soins, a relevé de son côté Julia Tabath, de l'association CH(s)OSE, qui milite pour l'« accès effectif à la vie affective et sexuelle » des personnes handicapées. CH(s)OSE se félicite d'ailleurs de la proposition d'une expérimentation d’une assistance sexuelle, « opportunité significative vécue comme un réel soulagement ».
Flou juridique
Pour Fabrice Zurita, responsable du centre de ressources spécialisé « Intimagir » en Normandie, nombre de personnes en situation de handicap ont le « sentiment d'être transparentes ». « Quand vous avez 15 ou 20 intervenants qui défilent dans le mois et qui vous voient nu, comment faire respecter votre intimité ? », s'interroge ce spécialiste, pour qui les professionnels ont tendance à « se renvoyer la balle sur ce sujet, chacun estimant que ce n'est pas son métier ».
Dans ce contexte, « la sollicitation des assistants sexuels, ça existe déjà, mais dans un flou juridique », souligne-t-il. Et certains se tournent vers la prostitution, faute d'assistants formés en nombre suffisant. Pour Fabrice Flageul, porte-parole de l'Association pour la promotion de l'assistance sexuelle (Appas), qui se définit comme thérapeute sexuel, il est donc urgent « d'arrêter l'hypocrisie » et de répondre à une « détresse par une démarche positive, bénéfique, qui permet à des êtres humains de se sentir un peu plus humains ».
Respect de l'intimité à améliorer
Au-delà de la question des assistants, c'est la sexualité et le respect de l'intimité des personnes handicapées au sens large qui doit faire l'objet d'une réflexion, insiste le CNCPH : les établissements spécialisés doivent ainsi créer pour leurs résidents des espaces de vie modulables, adaptés à la vie de couple, et leur proposer un lit double dès l'adolescence, suggère l'organisme consultatif.
Les établissements pourraient aussi prévoir, pour celles et ceux qui le souhaitent, « des temps programmés de nudité solitaire dans son lit ou sa chambre pour se découvrir ou se masturber », a suggéré Agnès Bourdon-Busin, membre de l'un des groupes de travail ayant élaboré ces propositions. Et faire en sorte que les visiteurs n'aient pas une vue directe sur le lit dès qu'ils entrent dans le lieu de vie. Le CNCPH propose enfin une augmentation de la prestation de compensation du handicap (PCH) pour favoriser la socialisation des personnes et des formations en direction des familles et des professionnels. Autant de propositions qui devraient être au menu de la Conférence nationale du handicap du printemps.
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